
Lors des 32e Victoires de la musique classique, Régis Campo a été honoré pour sa composition Dancefloor with Pulsing, une œuvre qui reflète sa vision ludique et éclectique de la modernité musicale du XXIe siècle. À travers un mélange de sonorités électroniques et acoustiques, Campo poursuit sa quête de réinvention musicale, tout en s’adaptant aux mutations de la société contemporaine. Entretien.
La remise des prix des 32e Victoires de la musique classique s’est déroulée le 5 mars dernier à l’Opéra de Rouen Normandie, dans le nord-ouest de la France. Ce rendez-vous annuel rappelle, aujourd’hui plus que jamais, l’importance de la musique (dite) classique dans un monde où le temps se condense et l’attention se dilue. Pourtant, bien que cet art conserve sa légitimité, il peine néanmoins à se frayer un chemin sûr face aux profondes mutations des goûts et des attentes d'un public qui se réduit comme peau de chagrin. Les lauréats de cette année illustrent la diversité et la richesse de la discipline: Lucile Richardot, mezzo-soprano, s'est vu remettre la Victoire de l'artiste lyrique; Julie Roset, soprano, a été sacrée Révélation artiste lyrique et Régis Campo a obtenu la Victoire dans la catégorie Compositeur pour sa pièce Dancefloor with Pulsing. George Benjamin a, quant à lui, été récompensé pour son album Picture a Day Like This, dans la catégorie Enregistrement.
Grandeur expressive
Parmi les lauréats de cette édition 2025, Régis Campo s’impose comme une figure désormais incontournable de la musique contemporaine. Né en 1968, il a fait ses études au Conservatoire de Marseille avant de poursuivre sa formation au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, où il obtiendra son premier prix de composition en 1995 sous la houlette de Gérard Grisey. Il rencontre ensuite plusieurs grands maîtres de la musique avant-gardiste, notamment Edison Denisov, ancien élève de Dmitri Chostakovitch, qui le considère comme l'un des compositeurs les plus prometteurs de sa génération, mais encore Henri Dutilleux. Bien que Campo soit un compositeur pleinement ancré dans la musique contemporaine, son écriture est plus proche du post-tonalisme ou de la musique atonale modérée; il joue avec la fluidité de l'harmonie sans chercher à résoudre les tensions de manière conventionnelle. Parfois, une certaine sensation de tonalisme peut se faire entendre brièvement, mais ce n'est pas une constante dans son œuvre.
Campo n’est pas un compositeur minimaliste au sens strict. On retrouve toutefois dans son œuvre, une certaine influence de Philip Glass ou Steve Reich, notamment à travers l’utilisation de motifs rythmiques répétés, des ostinatos et des figures motiviques constamment transformées. Cependant, il se distingue par une approche plus mélodique et harmonique, évitant les structures rigides du minimalisme pur. Il peut aussi recourir à des rythmes irréguliers, des mètres composés et des mécanismes de décalage de cellules rythmiques, mais de manière à créer une certaine dynamique et une tension progressive. Campo n’hésite pas non plus à puiser dans le vocabulaire romantique, réactualisant la notion de pathos et de grandeur expressive tout en la distillant dans des formes plus contemporaines et moins prévisibles. L’un des traits caractéristiques de son écriture est la gestion des silences et des espaces sonores. Il sait exploiter la dynamique et la texture pour donner une sensation de “vide” ou de suspension, créant une tension dramatique, avant de revenir à des moments plus pleins ou intenses.
Un Stravinsky contemporain
“Je me situe à l'intersection de plusieurs courants esthétiques, tout en éprouvant une grande affinité avec la musique populaire et celle de film. Et c'est pourquoi j'apprécie particulièrement les œuvres d'Ennio Morricone, Vladimir Cosma et Gabriel Yared”, raconte d’emblée Régis Campo dans un entretien accordé à Ici Beyrouth. Si l’on cherche souvent à cataloguer sa musique, le compositeur français se refuse pourtant à toute classification, ne se reconnaissant ni dans la tonalité, ni dans la modalité, ni même dans l'atonalité. “Ce qui caractérise avant tout ma musique, c’est son esprit ludique. On pourrait dire que, tout comme Stravinsky, je suis un touche-à-tout, avide d’explorer toutes les facettes de l’histoire de la musique”, précise l’artiste quinquagénaire, lui-même membre élu, le 17 mai 2017, à l’Académie des Beaux-arts, dans la section Composition musicale, au fauteuil autrefois occupé par Olivier Messiaen. Il ajoute, non sans insistance: “Même si ma musique comporte des éléments tonals, je ne m’inscris pas dans ce courant réactionnaire. En revanche, je n’adhère pas non plus à une avant-garde systématique, qui n’est, au fond, qu’une autre forme d’académisme”.
Ludique et surréaliste
Dancefloor with Pulsing, l’œuvre primée cette année aux Victoires de la musique classique, illustre parfaitement la volonté de Régis Campo de réinventer, à sa façon, la modernité musicale du XXIe siècle. Composée pour thérémine et orchestre, cette pièce, créée en 2018 lors du festival Ars Musica, marie des sonorités électroniques avec l’acoustique traditionnelle d’un orchestre symphonique. En effet, le thérémine est un instrument de musique électronique inventé en 1920 par le scientifique russe Lev Termen (plus connu sous le nom de Léon Theremin). Ce qui le distingue, c'est qu'il se joue sans contact physique: le musicien contrôle le son en déplaçant ses mains dans l'air, à proximité de deux antennes: l'une contrôle la hauteur du son, l'autre le volume. “Je connaissais le thérémine surtout grâce aux films de science-fiction, où Bernard Herrmann en faisait usage. Toutefois, je n'avais trouvé aucune œuvre valable de musique d'art spécifiquement dédiée à cet instrument au XXe siècle, ce qui m'a laissé dans une sorte de désert musical”, se désole le compositeur.
Pour Campo, le thérémine détient un potentiel émotionnel puissant, particulièrement recherché par les jeunes qui l'intègrent dans leurs groupes de rock, tout en s'inscrivant dans une esthétique de l’émerveillement et de la diversité sonore, caractéristiques de son œuvre. “C'est ainsi que j'ai eu l'envie d'explorer cet instrument qui correspond parfaitement à mon approche ludique et surréaliste, se félicite-t-il. J’ai reçu le prix des Victoires de la musique classique avec grande émotion. En effet, il représente à la fois, pour moi, une reconnaissance précieuse et un hommage à cette œuvre, jouée à plusieurs reprises, notamment à Radio France, et qui a su toucher son public.”
Entre humour et requiem
L'humour et le décalage occupent une place de choix dans l'œuvre du compositeur marseillais, comme le révèlent des titres tels que Zoo Circus ou Street-Art. Mais peut-on vraiment accorder à l'humour une place sérieuse dans la musique contemporaine? À cet égard, il rappelle que l'esprit de légèreté a toujours été présent dans la musique, depuis Haydn, Mozart et même Bach. Ce même esprit s'est manifesté, au sein de la grande école française, dans des œuvres de Debussy, Satie et Ravel, et chez les maîtres russes comme Stravinsky et Prokofiev. “Cet humour se traduit souvent par une musique rythmée et rapide, parfois accompagnée de citations d'œuvres. Cependant, avec la musique d'avant-garde d'après-guerre, l'humour a perdu de sa place, et chaque création semblait presque un requiem”, souligne-t-il, avec un brin… d’humour.
Et Campo de poursuivre: “Il se trouve que je suis arrivé, un peu décalé, avec cette tendance. Cela n’a pas beaucoup plu à mes anciens professeurs de composition, notamment Gérard Grisey et Alain Bancquart. Heureusement, je me suis rapproché de compositeurs tels que Dutilleux et Cosma, qui apprécient le rythme et une certaine forme de joie. Chez Dutilleux, c’était la joie du timbre, et chez Messiaen, par exemple, la joie de la foi”. Sa joie, quant à elle, est celle du Sud: une “joie exagérée, lumineuse, typiquement marseillaise”.
Régis Campo serait-il optimiste quant à l'avenir de la création? Sa réponse est catégorique: “La création existe et continuera d'exister”, répond-il à brûle-pourpoint. Selon lui, à chaque époque, il est nécessaire de se réinventer en fonction des évolutions de la société, et il est parfois facile de se laisser envahir par un certain pessimisme, en ayant l'impression que les choses se dégradent. “Cependant, lorsque dans mon beau Conservatoire de Marseille et à l'École normale de musique de Paris, je côtoie les nouvelles générations nées avec ce siècle, je constate qu'elles perçoivent la société sous un angle différent, apportant constamment des solutions avec un regard neuf. C'est pourquoi je demeure optimiste”, poursuit-il. Et l’artiste de conclure: “Se connecter avec ces générations est tellement primordial pour moi: on n’est pas vraiment un compositeur sans ce désir de transmettre aux jeunes”.
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