
La question de la normalisation refait surface, provoquant une nouvelle onde de choc sur la scène politique libanaise, chaque camp cherchant à en tirer profit selon ses propres intérêts.
Une déclaration de Steven Witkoff, envoyé spécial du président américain au Moyen-Orient, a marqué les esprits tant par son contenu que par son timing. Il a évoqué la possibilité pour le Liban de s'engager dans des négociations directes avec Israël, quitte à désigner comme représentant libanais une personnalité civile. L'État hébreu serait représenté par le ministre des Affaires stratégiques, Ron Dermer. M. Witkoff a également exhorté le président de la République, Joseph Aoun, et le Premier ministre, Nawaf Salam, à se tourner vers le chef du Parlement, Nabih Berry, considéré comme une figure clé dans ce processus.
Cependant, quelques heures après cette déclaration, M. Witkoff a tenu à démentir les propos rapportés par le quotidien An-Nahar, réaffirmant l'indépendance du Liban dans ses décisions souveraines et réitérant son soutien à la présidence actuelle.
Quelques jours plus tard, l'envoyé américain a toutefois confirmé que “la normalisation des relations entre le Liban, la Syrie et Israël est désormais une réelle possibilité”. Plusieurs responsables de l'administration Trump ont ajouté que, face aux récents développements dans la région, Washington est désormais résolu à engager un processus politique entre le Liban et Israël et à faire progresser cette initiative.
L'adjointe de l'envoyé spécial américain pour le Moyen-Orient, Morgan Ortagus, a adressé un message au président de la République, au Premier ministre et au chef du Parlement, suggérant la création de trois comités. Ces derniers seraient chargés d’examiner les dossiers des prisonniers libanais, des cinq zones occupées par Israël et des 13 points litigieux le long de la Ligne bleue.
En réponse à cette proposition, M. Berry a réaffirmé son attachement à la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies, qu’il considère comme la base de l’accord de cessation des hostilités. Il a insisté sur la nécessité de mettre fin aux violations israéliennes et aux agressions continues depuis la fin de la guerre entre le Hezbollah et Israël, avant d’aborder la question de la délimitation des frontières.
Selon des sources proches du palais présidentiel, ces comités s'inscriraient dans le cadre de la mise en œuvre de la résolution 1701 et n'auraient en aucun cas pour objectif de mener des négociations directes.
Israël, de son côté, cherche à exploiter les évolutions régionales, notamment en Syrie, pour accentuer la pression sur le Liban et le pousser vers des négociations directes sur les dossiers en suspens. Malgré l’accord de cessez-le-feu, l’État hébreu s’est positionné dans cinq zones qu’il juge stratégiques et multiplie les incursions aériennes, les frappes ciblées, les assassinats de responsables du Hezbollah et la destruction de dépôts d’armements. Une stratégie qui s’inscrit dans une volonté manifeste d’imposer un dialogue direct avec Beyrouth.
L’argument avancé par Israël pour justifier des négociations avec le Liban sur la démarcation de la frontière terrestre sud ne tient pas. Cette frontière est tracée et délimitée depuis 1932 avec la Palestine, et reconnue au niveau international par l’accord d’armistice signé le 23 mars 1949 entre le Liban et Israël.
L’article 5 de cet accord stipule clairement que “la ligne d’armistice suit la frontière internationale entre le Liban et la Palestine”.
Un ancien responsable rappelle qu’aucun différend frontalier n’oppose le Liban à Israël, les deux pays étant liés par l’accord d’armistice signé par leurs représentants: le lieutenant-colonel Toufic Salem et le commandant Joseph Harb pour le Liban, le lieutenant-colonel Mordechai Maklef, Yehoshua Palmer et Shabtai Rosen pour Israël. C’est d’ailleurs pour cette raison que le Liban n’a pas pris part aux guerres de 1965 et 1973, en l’absence de litige territorial avec Israël.
Cependant, toujours selon ce responsable, la situation a basculé après l’occupation par Israël des collines de Kfarchouba et des fermes de Chebaa, mais aussi après la signature de l’accord du Caire. Ce dernier a accordé aux Palestiniens l’autorisation de mener des opérations contre Israël depuis la zone de Fateh Land, au Liban-Sud.
Dès lors, le Liban est devenu le seul territoire arabe à servir de base aux attaques palestiniennes contre Israël, entraînant une instabilité croissante à la frontière sud. Cette situation a culminé avec l’invasion israélienne de 1982, qui a conduit à l’expulsion de l’Autorité palestinienne vers la Tunisie et au départ des fedayins du Liban.
En 2000, Israël a profité de son retrait du Liban pour refuser de reconnaître les frontières internationales, en s'en tenant à la Ligne bleue, sa propre ligne de retrait, qu'il a considérée comme une frontière officielle. C’est à ce moment qu’un différend a surgi concernant 13 points frontaliers non évacués par l’État hébreux, lui permettant de contrôler environ 484.800 mètres carrés. Ces zones incluent Ras Naqoura, Marouahine, Alma el-Chaab (trois sites), Al-Bustan, Rmeich, Yaroun, Odaisseh, Kfar Kila, Mays el-Jabal, Mtallé et Blida. À cela s’ajoutent les cinq zones actuellement occupées par Israël: les collines de Labbouné, Jabal el-Blat, Jal el-Deir, Markaba et Tallet el-Hamames, ainsi que des zones tampons à Dhaïra, Bastara et la route Kfar Kila-Odaisseh.
Le Liban exige le retrait d'Israël de ces points contestés et le remplacement des Israéliens par la Finul, avec la participation des équipes américaines et françaises dans le comité de supervision du cessez-le-feu. Tant qu'Israël occupera des territoires libanais, le Hezbollah, comme l'affirment ses responsables, ne renoncera pas à ses armes. Par conséquent, aucune aide ne sera accordée au Liban pour sa reconstruction, car les pays donateurs conditionnent leur soutien à un monopole des armes par l'État. Cela ne pourra être réalisé tant qu’Israël ne se sera pas retiré du sud du Liban.
Selon l’ancien responsable, la résolution du différend frontalier repose sur la reconnaissance par Israël des frontières internationales définies par l'accord de cessez-le-feu, et non sur la Ligne bleue tracée par Israël après son retrait du Liban en 2000. Pour parvenir à une paix durable, Israël doit satisfaire plusieurs conditions, notamment l'arrêt des violations, le retrait de tous les territoires occupés, y compris Chebaa et Kfarchouba, ainsi que la libération des prisonniers libanais. La création d'un État palestinien indépendant et le retour des réfugiés palestiniens dans leurs foyers constituent également des éléments essentiels pour stabiliser la région et mettre fin à ce conflit.
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