La normalisation interdite
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Cette région du monde retrouve difficilement une normalité qui l’aiderait à s’extraire de l’état d’exception et à envisager les enjeux politiques sous un autre rapport, celui du jeu institutionnel, de l’État de droit et de la modération de principe. On sait pertinemment que cette normalisation ne correspond pas aux registres multiples du politique dans cette aire géopolitique, à l’ethos collectif et à la vision du monde qui s’articulent autour des rapports de force et de leurs modulations. 

Indépendamment des données de circonstance, on fait face à des barrières culturelles qui rendent impossible toute réforme qui remet en cause les cultures politiques en vigueur et leurs modes de déploiement. Le cas du Liban nous rappelle ces vérités premières alors que nous avons affaire à une société fortement modernisée et acquise aux bienfaits du pluralisme culturel et à ses incidences sur le politique.

Le Liban fait l’expérience, depuis plus de soixante ans, d’une instabilité endémique qui se nourrit de la crise de légitimité nationale, de la souveraineté limitée et discrétionnaire et de l’instabilité sécuritaire qui définissent le tableau clinique de la société et de l’État. Il serait vain de scruter les raisons de ces impasses structurelles au ras d’une lecture constitutionnelle des dysfonctionnements et des écarts, alors que les failles se situent au niveau d’une culture sociétale qui préempte la possibilité même de l’État de droit. 

Les notions de nation, de souveraineté territoriale, de réciprocité morale, de constitutionnalité de l'ordre politique, de communauté civique et de justice sont désémantisées et instrumentalisées au profit de la logique transversale des rapports de force. On s’en accommode tant que cela sert les intérêts de groupe, sinon on s’en défait comme si de rien n’était. La conduite du Hezbollah et de la gauche libanaise offre un exemple typique des liens factices qui définissent les rapports avec l’État, l’hypothétique communauté nationale et citoyenne et la notion de paix civile. 

Les extraterritorialités politiques et sécuritaires, les idéologies transnationales islamiste et nationale-arabe, les prescriptions de la loi islamique et ses modulations sont instrumentalisées par les politiques de subversion sans autre forme de procès. Comment comprendre les actes de guerre répétés du Hezbollah à moins de les relier à la politique impériale du régime iranien et à ses relais domestiques qui font fi de toute notion de souveraineté territoriale et de tout consensus national? Les contresens de la politique adoptée par le nouvel exécutif se ressourcent dans une double méconnaissance, celle de la facticité de l’ordre constitutionnel et la prééminence des rapports de force et des intérêts factieux. 

C’est cette même logique qui explique comment le nouvel exécutif se dérobe aux mandats sécuritaires internationaux, fait l’impasse sur les enjeux d’une diplomatie de résolution des conflits avec l’État d’Israël qui, pourtant, est à l’origine de la nouvelle dynamique politique et militaire sur les plans domestique et régional. Nous sommes carrément dans une logique d’enfermement idéologique et sectaire qui fait fi de toutes considérations étatiques et de constitutionnalité. Il est impossible de pouvoir dégager la voie aux politiques de normalisation à moins de remettre en question les rapports de force et de se définir à partir des registres civiques et d’État de droit.

Le nouvel exécutif ne peut avancer sur les dossiers en cours à moins de réaffirmer ses prérogatives de souveraineté non partagée, de restituer le principe de la séparation des pouvoirs, de reconduire l’État de droit et de rétablir la consociativité. Toute composition avec la logique des rapports de force et de la domination sectaire que les fascismes chiites essayent de réintroduire par le biais des politiques obstructionnistes et de subversion, des ingénieries institutionnelles truquées et des manipulations de la loi électorale finira par rejaillir sur le processus de normalisation. Elle remet en question la concorde civile et la paix régionale dans une région où toute notion d’ordre interétatique semble céder à des scénarios de chaos et de guerres civiles. 

Le nouvel exécutif n’a pas pris la mesure des défis et renouvelle des politiques sectaires, de méconnaissance délibérée de la donne régionale mutante et de la nécessité de reprendre les négociations avec l’État d’Israël sur une base interétatique, en vue de sceller des accords de paix et de mettre fin aux cycles ouverts de violence et de guerres sans fin. Le Liban devrait se défaire des contraintes idéologiques pour aborder la question de la paix de manière réaliste et casser les verrouillages politiques qui ont empêché cette démarche de se concrétiser et de prendre élan, alors que le pays est demeuré otage des politiques impériales et militantes depuis plus de soixante ans. 

Il faudrait se débarrasser des lests politiques et idéologiques et de leurs vecteurs stratégiques pour s'inscrire dans une démarche de paix résolue. Faisons gaffe, les fascismes chiites et leurs acolytes islamistes n’ont pas voix au chapitre à moins de renoncer à leurs idéologies totalitaires et à leurs dérives mafieuses, de rallier la communauté citoyenne sur la base des valeurs communes à l’État de droit et à la conversation civique que ses institutions rendent possibles, or nous en sommes bien loin.

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