
La réaction de Pékin à la vente des ports du canal de Panama à un consortium américain révèle l'importance stratégique de ces plateformes commerciales dans la rivalité entre la Chine et les États-Unis, selon des experts interrogés par l'AFP.
Le groupe hongkongais CK Hutchison a accepté de céder 43 ports situés dans 23 pays, dont le Panama, à un groupe dirigé par le géant américain de la gestion d'actifs BlackRock pour 19 milliards de dollars.
Mais l'état chinois a répliqué vendredi en confirmant que son régulateur anti-cartel allait examiner l'accord, ce qui empêchera probablement sa signature prévue le 2 avril.
L'accord allait permettre au président américain Donald Trump de s'attribuer le mérite de la "reprise en main" du canal, avaient expliqué des experts à l'AFP avant l'annonce des autorités chinoises.
"Les États-Unis ont suscité un problème politique aux dépens de la Chine pour pouvoir ensuite crier victoire", estime Kurt Tong, associé chez The Asia Group et ancien haut diplomate américain. "Cela ne passe pas à Pékin", affirme-t-il.
Certains des ports vendus se trouvent en effet dans des pays participant au projet des "Nouvelles Routes de la soie", un réseau d'infrastructures au cœur de la stratégie déployée par le dirigeant chinois Xi Jinping pour accroître l'influence de la Chine à l'étranger.
Les ports sont cruciaux pour ce réseau et Pékin "a remarquablement réussi en la matière", note Henry Gao, un expert en droit commercial à l'Université de gestion de Singapour.
Or, le Panama a officiellement quitté les "Nouvelles Routes de la soie" le mois dernier à la suite d'une visite du secrétaire d'État américain Marco Rubio.
"Il y a une tendance croissante à utiliser les ports et les infrastructures d'échanges commerciaux comme des outils au service de l'influence géopolitique", observe M. Gao.
Inquiétudes "exagérées"?
Pour Xie Wenqing, chercheur à l'Institut de transport maritime international de Shanghai, l'accord d'une "ampleur sans précédent" accepté par CK Hutchison suscite "des inquiétudes sur de potentiels coûts supplémentaires appliqués aux navires chinois ou un traitement discriminatoire en termes d'ordre de passage", vue la tendance de Washington à exercer une juridiction extra-territoriale.
Couplé aux récentes hausses des droits de douane américains sur les importations chinoises, cet accord pourrait saper la domination industrielle du géant asiatique, avertit de son côté Wang Yiwei, directeur de l'Institut des affaires internationales de l'Université Renmin de Chine.
"Des inspections accrues et des coûts d'amarrage supplémentaires éroderaient l'avantage concurrentiel de la Chine et perturberaient les chaînes d'approvisionnement mondiales", affirme l'expert.
Certes, la transaction ne va pas dans le sens des intérêts de la Chine, mais certaines préoccupations sont "exagérées", tempère toutefois John Bradford, directeur exécutif du Conseil Yokosuka pour les études sur l'Asie-Pacifique.
"La plupart des pays ont des lois qui stipulent que les différents clients doivent être traités de manière similaire, donc les scénarios catastrophes ne sont pas vraiment réalistes", précise M. Bradford.
Le rôle de Hong Kong questionné
L'enquête anti-cartel décidée par l'état partie chinois sur l'accord de CK Hutchison pourrait également avoir des répercussions sur Hong Kong et son rôle de plateforme commerciale entre la Chine et le reste du monde, selon les analystes.
Elle pose en effet la question "de savoir si Hong Kong est un bon endroit pour placer des actifs ou faire des affaires", pour l'ancien diplomate M. Tong.
L'enregistrement de CK Hutchison aux Iles Caïmans n'a ainsi pas empêché Pékin de lancer son enquête anti-cartel.
"Les lois anti-cartel chinoises peuvent s'appliquer en dehors de ses frontières, de la même manière que celles des États-Unis et de l'Union européenne", souligne Jet Deng, associé au bureau de Pékin du cabinet d'avocats Dentons.
Les entreprises qui ne déclarent pas leurs transactions à l'étranger au-delà d'un certain seuil peuvent être condamnées à une amende allant jusqu'à 10% de leur revenu d'exploitation de l'année précédente, ajoute l'avocat.
Mais Pékin risque aussi d'effrayer les entreprises étrangères les plus prudentes, qui ont déjà réduit leur présence à Hong Kong, prévient Hung Ho-fung, politologue à l'Université Johns Hopkins.
Si l'accord de CK Hutchison échoue à cause de la pression de Pékin, cela pourrait donner encore davantage l'impression que Hong Kong se rapproche de la Chine continentale, où les "questions de sécurité nationale sont d'une importance capitale dans toute transaction commerciale", ajoute-t-il.
Par Holmes CHAN, avec Luna LIN à Pékin, AFP
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