La mission de Morgan Ortagus dans une optique de ras-le-bol
©Lebanese Presidency / AFP

Jouons cartes sur table, sans louvoiement ni demi-mesure. L’heure n’est pas – n’est plus – et ne saurait être désormais à la complaisance et aux hésitations mièvres et poltronnes. Cela fait vingt ans (depuis 2005, lorsque le Hezbollah s’est rendu maître de la scène locale), et d’une manière plus générale depuis plus d’un demi-siècle (depuis 1969, date du funeste accord du Caire conclu avec les organisations palestiniennes armées), que le peuple libanais fait les frais de guerres stériles dont il n’en a cure, de guerres sans horizon, sauf celui de servir les intérêts géopolitiques (eux-mêmes tout aussi stériles) de puissances régionales. Il est grand temps que ce peuple libanais aspire à une vie tout simplement… normale.  

C’est dans cette optique de ras-le-bol, ayant atteint son apogée, que l’on est en droit aujourd’hui de percevoir la mission que vient d’effectuer à Beyrouth l’envoyée spéciale adjointe du président américain pour le Moyen-Orient, Morgan Ortagus. Une mission qui, en toute vraisemblance, a fait parvenir aux dirigeants et hauts responsables libanais un message ferme portant sur l’arsenal militaire du Hezbollah, ses sources illégales de financement occulte, et le chantier des incontournables réformes.   

Nous ne leurrons pas. Toute tentative de redressement économique et financier demeurera vaine tant que le problème de la souveraineté, en l’occurrence des armes du parti pro-iranien, n’aura pas été réglé. Même si, par une vue de l’esprit, l’on confie l’ensemble des pouvoirs présidentiel, exécutif, législatif, économique, financier, militaire et sécuritaire à tous les anges et les saints, le pays retombera rapidement dans l’impasse, le marasme et l’instabilité chronique si le Hezbollah conserve ses armes, maintient son comportement milicien et persiste dans sa ligne de conduite placée exclusivement au service de ses maîtres à penser régionaux. Les expériences de ces dernières années en sont la preuve irréfutable.

Certains dans les hautes sphères du pouvoir et au sein de la nomenklatura pro-iranienne prônent un “dialogue national” en vue de lancer des discussions sur une “stratégie de défense” susceptible de trouver une issue au dossier des armes du Hezbollah. Il est déplorable au stade actuel où sont les choses que les tenants de cette approche en soient encore à un tel degré de supercherie. Lorsqu’un pôle politique ment effrontément et avec insistance, lorsqu’il adopte le mensonge permanent comme fondement de sa conduite politique, le plus grave, alors, n’est pas qu’il a menti, mais le fait que l’on ne peut plus désormais le croire, pour reprendre une citation de Friedrich Nietzche…

Il n’est pas superflu de rappeler à cet égard que les leaders et chefs de file des formations politiques du pays étaient réunis en juin… 2006, sous l’égide du chef du législatif, Nabih Berry, pour discuter, précisément, d’une stratégie de défense. Au cours de cette “conférence de dialogue”, le leader du Hezbollah, feu Hassan Nasrallah, avait souligné la nécessité d’éviter tout acte de provocation au Liban-Sud qui pourrait compromettre la saison d’été. Deux semaines plus tard, le 12 juillet 2006, le Hezbollah provoquait une guerre dévastatrice contre Israël, qui durera plus d’un mois. Depuis, et pendant plus de dix-neuf ans, les “conférences nationales” et les appels répétés en vue de l’élaboration d’une “stratégie de défense” se sont multipliés au cours des différents mandats présidentiels. En vain…   

Pire encore. À chaque échéance cruciale, le parti de Dieu a renié sa signature et ses engagements solennels pris devant les instances arabes et internationales. Ce fut le cas, entre autres exemples, après août 2006 avec la résolution 1701, en janvier 2011 en violation de la conférence de Doha (mai 2008), en juin 2012 à la suite de la Déclaration de Baabda adoptée à l’initiative du président Michel Sleiman, et tout récemment avec les dispositions du cessez-le-feu négocié avec Israël en novembre 2024.

Autant de crocs-en-jambe empreints de supercherie, qui n’étaient sans doute pas totalement absents, en filigrane, des discussions de l’émissaire américaine Morgan Ortagus à Beyrouth et que certains membres du gouvernement, ayant un fâcheux penchant pour la complaisance, devraient garder constamment et fermement en mémoire.      

Les tenants de la ligne dure du camp iranien paraissent encore affirmer, malgré tous les désastres passés, que l’arsenal militaire du Hezbollah reste nécessaire pour préserver la place et le rôle du parti et, à leurs yeux, de la communauté chiite sur la scène politique, parallèlement à la (prétendue) lutte contre Israël.

À ces partisans de la stratégie de l’irrationnel et du jusqu’au-boutisme déconnecté des réalités présentes, il serait utile de reprendre les propos qu’avait tenus, dans le cadre d’une interview, feu l’uléma Mohammed Hassan el-Amine, dont le quatrième anniversaire du décès est actuellement commémoré: “Nous serons forts lorsque nous pourrons réaliser notre révolution scientifique, technologique et développementale.” Une petite phrase qui illustre sans louvoiement, loin des discours idéologiques enflammés, la voie à suivre pour remonter la pente et sortir de l’abîme dans lequel la formation inféodée aux mollahs de Téhéran a plongé sa communauté au fil des ans.

 

 

 

 

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