
Depuis le 15 avril 2023, le Soudan est ravagé par une guerre civile d’une brutalité inouïe, opposant les deux principales forces armées du pays: l’armée régulière, dirigée par le général Abdel Fattah al-Bourhan, et les Forces de soutien rapide (FSR), milice paramilitaire commandée par le général Mohamed Hamdan Dagalo, plus connu sous le nom de Hemedti. Ce conflit, déclenché au cœur de la capitale Khartoum, s’est rapidement propagé à l’ensemble du pays, plongeant le Soudan dans une spirale de violences, de déplacements massifs et de désintégration étatique.
Une transition avortée
Cette guerre trouve ses racines dans les dysfonctionnements de la transition politique post-Omar el-Béchir. Renversé en avril 2019 après trois décennies de dictature, celui-ci a laissé derrière lui un État militarisé, profondément fragmenté et sans institutions démocratiques solides.
Dans un premier temps, Abdel Fattah al-Bourhan et Hemedti se sont positionnés comme les garants de cette transition, formant un Conseil souverain chargé de remettre le pouvoir aux civils. Mais très vite, les tensions sont apparues entre les deux généraux, notamment autour de la question cruciale de l’intégration des FSR dans les forces armées nationales, perçue par Hemedti comme une menace directe à son pouvoir autonome.
Les hostilités éclatent en avril 2023, après des mois de provocations et de mouvements de troupes. Très vite, Khartoum se transforme en champ de bataille. Les FSR, mieux équipées pour le combat urbain et bénéficiant d’une logistique agile, s’installent dans les quartiers résidentiels et prennent le contrôle de nombreux bâtiments stratégiques. L’armée, elle, riposte par des frappes aériennes massives, au prix de lourdes pertes civiles.
La capitale devient rapidement inhabitable. Des millions d’habitants fuient les combats, les services de base s’effondrent et les pillages se multiplient.
Les horreurs du Darfour
Le conflit déborde ensuite dans le Darfour, où les FSR ont des racines profondes. En effet, celles-ci sont notamment issues des tristement célèbres Janjawid, des milices recrutées au sein des tribus arabes au service du régime de Béchir, connues pour les massacres qu’elles ont commis dans la région au cours des années 2000.
Là-bas, la guerre prend un tournant encore plus atroce, avec des épisodes de nettoyage ethnique, notamment contre les populations massalit – issues de tribus ethniquement non arabes – à l’ouest. Des témoignages et rapports d’ONG évoquent des exécutions de masse, des viols systématiques et des villages entiers rasés. Le Darfour, déjà meurtri, redevient ainsi l’un des épicentres de la souffrance humaine au XXIe siècle.
L’impact humanitaire est gigantesque. Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés estime à plus de 13 millions le nombre de personnes déplacées depuis le début de la guerre, à l’intérieur du pays ou vers les pays limitrophes du Tchad, du Sud-Soudan, ou encore de l’Éthiopie. Plus de 14.000 morts ont été documentées, mais les chiffres réels sont probablement bien plus élevés.
Les hôpitaux ne fonctionnent plus, les réseaux de distribution de nourriture sont paralysés, et la famine menace plus de 18 millions de personnes.
Le Soudan est aujourd’hui le théâtre de la plus grande crise de déplacement au monde, surpassant même la Syrie durant l’apogée de sa guerre civile, ou l’Ukraine, en termes de proportion de population affectée.
Qui gagne?
Après deux années de guerre civile, la situation militaire au Soudan reste complexe et évolutive. En mars 2025, l'armée soudanaise a repris le contrôle de Khartoum, marquant une victoire stratégique significative. Elle a également avancé à Omdourman, plus grande ville du pays située en face de la capitale sur le Nil, et consolidé sa position dans le centre du pays.
Cependant, les FSR maintiennent une présence dominante au Darfour, contrôlant quatre des cinq États de la région. Elles ont intensifié leurs offensives, notamment en assiégeant la capitale provinciale, El-Facher, et en prenant le contrôle du camp de déplacés de Zamzam, provoquant le déplacement de centaines de milliers de personnes.
Les intérêts étrangers dans les coulisses
Sur le plan diplomatique, la guerre au Soudan est loin d’être un affrontement purement interne. Elle est devenue le terrain de jeu d’intérêts géopolitiques concurrents. Le général Bourhan est soutenu activement par l’Égypte, qui le considère comme un allié stratégique dans la gestion des flux migratoires, la lutte contre l’islamisme et le dossier du Nil avec l’Éthiopie.
Le Tchad entretient également une relation ambiguë avec le général Bourhan, bien que son soutien reste limité et parfois contradictoire.
De son côté, Hemedti bénéficie d’un soutien financier et militaire substantiel de la part des Émirats arabes unis (EAU). Selon une enquête de The Guardian, Abou Dhabi lui livreraient des armes et de l’équipement via le port libyen de Benghazi, contrôlé par son allié, le maréchal Khalifa Haftar.
En échange, les EAU ont consolidé leur mainmise sur les mines d’or du Soudan, dont les FSR assurent le contrôle. Un rapport de l’organisation d’enquête et de plaidoyer américaine The Sentry indique également que le groupe Wagner, bras armé informel de la politique russe en Afrique, a fourni du matériel militaire aux FSR, notamment via la République centrafricaine, où Wagner est très implanté. En effet, Moscou voit dans Hemedti un moyen de consolider son influence dans la région du Sahel et d’assurer ses intérêts miniers, en particulier dans l’or.
Les grandes puissances occidentales, quant à elles, ont été largement dépassées par la vitesse du conflit. Les États-Unis, qui avaient joué un rôle actif dans la transition post-2019, ont tenté plusieurs médiations, notamment par le biais de négociations à Jeddah, avec l’appui de l’Arabie saoudite. Mais ces pourparlers n’ont abouti à aucun résultat durable. L’ONU, l’Union africaine et l’Autorité intergouvernementale pour le développement – une organisation interétatique régionale – peinent à imposer une feuille de route viable, tant les deux camps refusent de céder le pouvoir.
Tandis que le conflit entre dans sa troisième année, aucune perspective de paix ne se profile. Les lignes de front fluctuent, les alliances évoluent, mais la population, elle, continue de payer le prix fort. Le tissu social soudanais se désagrège, les jeunes fuient massivement, et les minorités ethniques sont prises pour cible. Le Soudan, deuxième plus grand pays d’Afrique par sa superficie, est aujourd’hui un État fantôme, vidé de ses institutions, morcelé par les milices et livré aux logiques de guerre.
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