
Après des décennies de laisser-faire, le vent aurait-il enfin tourné? En rompant avec une tradition bien ancrée de complaisance envers les violations du littoral, le gouvernement de Nawaf Salam a retiré trois décrets controversés, adoptés sous l’ère Mikati. Ces derniers légitimaient l’appropriation de plus de 140.000 m² de domaine maritime public à Ras Maska (Bahsas), Zouk Bhanine (Akkar) et Al-Klaileh (Tyr). Une première dans l’histoire récente du Liban.
Depuis la fin de la guerre civile en 1990, l’État a fermé les yeux sur l’exploitation sauvage du littoral: des plages privatisées illégalement, des ports et marinas improvisés, des complexes balnéaires florissants sur des terres publiques. La loi n° 64/2017 avait pourtant tenté d’encadrer les abus, limitant toute régularisation aux empiètements antérieurs à 1994. Peine perdue: le décret n° 14331 a offert un plateau de 76.140 m² de front de mer à Bahsas à une entité privée. Ceux portant les numéros 14331 et 14620 octroyaient respectivement 53.000 m² à Bhannine et 14.560 m² à Al-Klaileh à des acteurs privés, parfois même inexistants juridiquement.
Un geste fort… mais suffisant?
Le ministre des Finances, Yassine Jaber, insiste: «Il ne s’agit pas de vendre les biens de l’État, mais de les gérer intelligemment.» Une gestion efficace et une exploitation rationnelle, au bénéfice des finances publiques et de l’économie nationale. Reste que, pour être crédible, cette volonté politique devra s’accompagner d’une réforme globale, en commençant par une révision des redevances ridiculement faibles imposées aux occupants. Le dernier barème de 2018, répartissant le littoral en 30 zones, fixe par exemple un loyer annuel de 40.000 LL/m² à Arida contre 9 millions LL à Solidere. Un montant aujourd’hui dérisoire, compte tenu de l’effondrement de la livre libanaise.
Un littoral pris en otage
En 2017 déjà, le ministère des Travaux publics avait recensé 1.068 occupations illégales du littoral, dont 333 complexes balnéaires occupant à eux seuls 1,5 million de m². Au total, environ 5,5 millions de m² de domaine maritime seraient aujourd’hui squattés – une moitié légalement, l’autre pas. Ce chiffre ne cesse de grimper.
L’armée avait entamé en 2024 un vaste travail de cartographie du littoral, interrompu dans le sud par la guerre entre le Hezbollah et Israël. Une tâche titanesque, mais essentielle pour restaurer l’autorité de l’État sur ses biens, à l’image de sa politique dans le sud.
Reste à savoir: cette annulation des trois décrets sera-t-elle le début d’un véritable tournant ou un simple écran de fumée destiné à calmer une opinion publique excédée par l’impunité des puissants?
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