Les Européens mis à distance sur le dossier nucléaire iranien
Centrale nucléaire de Bouchehr sur la côte du Golfe persique en Iran ©AFP

Les Européens, négociateurs actifs de l'accord sur le nucléaire iranien de 2015, sont pour l'instant cantonnés aujourd'hui au rôle d'observateurs des tractations qui se déroulent entre Téhéran et Washington.

L'Iran et les États-Unis, qui n'ont plus de relations diplomatiques depuis 1980, ont entamé le 12 avril des discussions sous la médiation du sultanat d'Oman.

Le temps presse alors que Téhéran n'est « pas loin » de disposer de la bombe nucléaire, a averti mercredi Rafael Grossi, le chef de l'Agence internationale de l'énergie atomique dans un entretien au quotidien Le Monde.

Les pays occidentaux, États-Unis en tête, soupçonnent de longue date l'Iran de vouloir se doter de l'arme nucléaire. Téhéran rejette ces allégations, défendant un droit au nucléaire civil, notamment pour l'énergie.

Samedi, négociateurs américains et iraniens se retrouveront cette fois à Rome, toujours sous médiation omanaise.

À défaut d'être directement dans les tractations, les trois pays européens impliqués de longue date -- la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne, qui forment le groupe E3 -- ont signalé leur soutien à toute initiative diplomatique, dans un contexte de crainte grandissante d'une guerre entre l'Iran et son ennemi juré, Israël.

Savoir-faire technique

« Il est regrettable que les Européens, qui ont lancé ce processus diplomatique il y a 22 ans et y ont joué un rôle de premier plan, aient si mal joué leur carte », souligne Ali Vaez de l'International Crisis Group.

Avant l'annonce de pourparlers américano-iraniens, l'E3 avait pourtant mené des discussions à Genève avec l'Iran en octobre, novembre, janvier et février, que Téhéran avait jugées « constructives ».

Désormais, « les Européens semblent doublement piégés, d'une part parce qu'ils sont exclus de la négociation actuelle et sont cantonnés au rôle de commentateurs, d'autre part parce qu'ils ne peuvent pas se permettre de torpiller les chances d'un nouvel accord, fût-il américano-iranien », estime David Khalfa de la Fondation Jean-Jaurès.

Et, il ne voit pas le rôle des Européens « fondamentalement changer dans les prochains jours dans la mesure où l'administration Trump est hostile à l'Union européenne ».

« C'est dommage, car contrairement aux Omanais, les Européens disposent du savoir-faire technique et de la mémoire institutionnelle qui pourraient faire avancer ces négociations », estime Ali Vaez.

Pour Thierry Coville, chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), la mise à l'écart des Européens n'est pas seulement le fait de Washington.

« Erreur stratégique »

« L'erreur stratégique a été commise au moment où le président Donald Trump est sorti de l'accord JCPOA en 2018 », analyse-t-il.

Cet accord datant de 2015 avait été conclu entre l'Iran et les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU (Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni, Russie) plus l'Allemagne.

« Les Iraniens, qui ont voulu rester dans l'accord, ont demandé aux Européens de les aider en maintenant des échanges économiques avec l'Iran malgré les sanctions américaines », rappelle Thierry Coville.

Si les Européens ont validé « l'importance de cet accord », leurs entreprises « se sont toutes enfuies du marché iranien », contribuant ainsi « largement à la dégradation de la situation économique » iranienne. Et au passage, ils ont sapé leur crédibilité, dit-il.

Les diplomates européens font valoir qu'ils disposent de la possibilité de réenclencher le « snapback », ce mécanisme qui permet de réimposer les sanctions internationales contre Téhéran.

En échange de l'encadrement du programme nucléaire iranien, le texte de 2015 prévoyait en effet un allègement des sanctions internationales contre Téhéran.

Constatant les manquements de Téhéran, Berlin, Londres et Paris ont déjà envoyé en décembre une lettre au Conseil de sécurité de l'ONU évoquant le scénario du réenclenchement des sanctions.

Unique levier

La fenêtre de tir est courte, soulignent les diplomates européens, évoquant la fin juin ou l'été.

En 2018, lorsque Donald Trump avait retiré unilatéralement son pays de l'accord - auquel se conformait alors Téhéran, selon l'AIEA -, il avait déjà rétabli de lourdes sanctions.

Le « snapback » est le seul levier des Européens, notent les experts.

« Leur stratégie consiste désormais (...) à tenter de faire comprendre aux Américains que c'est leur intérêt de les inclure à un moment ou un autre dans la négociation », souligne David Khalfa.

Mais leur marge de manoeuvre est limitée, sachant que si le « snapback » était activé, l'Europe n'aurait plus aucun moyen de pression, souligne Ali Vaez.

De plus, « cela risque de pousser l'Iran à se retirer du Traité de non-prolifération, ce qui ne ferait qu'aggraver le problème au lieu de résoudre celui qui existe déjà », dit-il.

Et puis, « le calcul iranien est probablement de se dire que Donald Trump a un certain poids, et donc, qu'il vaut mieux nouer un accord avec lui pour qu'il soit durable », analyse enfin Thierry Coville.

Par Delphine TOUITOU/AFP

Commentaires
  • Aucun commentaire