
La municipalité de Beyrouth dépasse de loin le cadre d’une simple administration locale. Plus vaste qu’une commune, sans pour autant être une république, elle constitue une entité autonome à mi-chemin entre les deux. Véritable demi-État, elle incarne le cœur battant du pays, attirant chaque jour près de la moitié de la population libanaise – résidents permanents ou navetteurs – qui viennent y vivre, y travailler ou y transiter. Un chiffre révélateur s’y ajoute: plus de 60% des véhicules immatriculés au Liban se rendent quotidiennement à la capitale.
Cette centralisation extrême a façonné l’aura unique de Beyrouth, justifiant l’importance politique et symbolique que revêt sa municipalité. C’est pourquoi les débats autour de sa gestion sont si sensibles, notamment en ce qui concerne la parité confessionnelle: administrer Beyrouth, c’est en quelque sorte gérer le fragile équilibre démographique du Liban tout entier.
Historiquement, depuis l’époque ottomane, la municipalité visait à représenter les notables de la ville. Le poids confessionnel de Beyrouth était alors essentiellement dominé par les sunnites et les orthodoxes, jusqu’aux bouleversements engendrés par la guerre civile et la partition de la ville. Fait peu connu, entre 1908 et 1911, la capitale Beyrouth fut administrée par deux conseils municipaux distincts: un à l’ouest, dirigé par un sunnite; un autre à l’est, sous la direction d’un orthodoxe.
Sur le plan politique, la municipalité de Beyrouth a toujours été un laboratoire de changement à l’échelle nationale. Deux moments-clés en témoignent. En 1998, les Forces libanaises firent un retour discret mais symbolique à la vie politique à travers l’élection de Joe Sarkis au conseil municipal, quatre ans après leur dissolution en pleine occupation syrienne. Puis, en 2016, l’apparition de Beyrouth Madinati, coalition issue de la société civile, a failli bouleverser l’ordre établi. Face à la liste unifiée des partis traditionnels, l’écart fut serré, malgré une faible mobilisation des électeurs. Cette percée, portée par l’enthousiasme des jeunes et l’aspiration à un renouveau, montrait que le changement était devenu possible.
À Beyrouth, la municipalité s’apparente davantage à un siège parlementaire qu’à une simple instance locale. L’exemple emblématique de Salim Salam, à la fois député au Parlement ottoman et maire de la capitale, témoigne du chevauchement profond entre mandat politique et fonction municipale. À travers les décennies, la municipalité a servi de tremplin pour les élites politiques et sociales, permettant à de nombreuses personnalités de s’affirmer et de consolider leur influence.
Financièrement, la municipalité de Beyrouth a longtemps été la plus riche du pays, avec des budgets atteignant plusieurs dizaines de millions de dollars avant la crise. Ces ressources auraient pu permettre la réalisation de projets de grande envergure, mais des blocages successifs ont paralysé l’action municipale, menant à des crises structurelles et organisationnelles.
Aujourd’hui, dans un contexte d’effondrement généralisé, la municipalité apparaît comme un véritable équivalent d’un gouvernement en miniature. Elle est appelée à renaître et à répondre aux attentes pressantes d’une population en quête de justice, de coexistence et d’un leadership capable de protéger la ville et de relancer ses infrastructures. La mission est immense: reconstruire les quartiers détruits par l’explosion du port, sauvegarder le patrimoine architectural, réaménager les espaces publics, réhabiliter les réseaux d’eau et d’électricité, préserver les sites historiques et gérer les effets du déplacement massif de populations.
L’élection municipale à Beyrouth dépasse de loin le cadre d’un simple scrutin local. Il s’agit d’un vote à portée nationale. Le sous-estimer reviendrait à ignorer le rôle unique joué par la capitale et sa capacité à faire la différence au Liban.
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