Sclérose en plaques: le Liban à la croisée des nerfs
La SEP, une course à vie sans ligne d’arrivée. ©DR

Alors que le monde marque, le 30 mai, la Journée mondiale de la sclérose en plaques (SEP), au Liban, patients et spécialistes tirent la sonnette d’alarme. Les progrès médicaux ne suffisent plus à compenser les reculs économiques et structurels d’un système de santé en crise.

La sclérose en plaques est une maladie inflammatoire, auto-immune et neurodégénérative du système nerveux central. Elle survient lorsque le système immunitaire attaque par erreur la myéline – l’enveloppe protectrice des fibres nerveuses –, perturbant ainsi la transmission de l’influx nerveux. En résulte une panoplie de symptômes: troubles moteurs, sensitifs, visuels, urinaires, cognitifs, mais aussi fatigue intense ou dépression.

C’est une maladie de l’adulte jeune, touchant généralement les 20-40 ans, avec une nette prédominance féminine. On distingue classiquement deux formes: une forme rémittente (à poussées) dans environ 80% des cas et une forme progressive, d’emblée plus rare, mais souvent plus sévère.

Une prévalence en hausse au Liban

Au Liban, la dernière étude épidémiologique remonte à 2018. Menée par Dr Maya Zeineddine, spécialiste certifiée SEP et Clinical Associate Professor à la Lebanese American University (LAU), elle recensait environ 2.500 cas confirmés. «Aujourd’hui, on estime ce chiffre à plus de 3.000, car la prévalence est en constante augmentation dans la région, selon la MS International Federation», explique-t-elle à Ici Beyrouth.

Les raisons? Des critères diagnostiques mis à jour, un diagnostic plus précoce, des outils d’imagerie plus avancés – notamment les IRM 3 Tesla, bien plus précises qu’il y a dix ans – et une meilleure sensibilisation, tant chez les professionnels de santé que dans la population.

Plusieurs sous-spécialités médicales participent désormais à confirmer les diagnostics, comme les neuroradiologues et les neuro-ophtalmologues.

Le Liban est aujourd’hui considéré comme un pays à prévalence modérément élevée, avec environ 63 cas pour 100.000 habitants, contre 120 cas pour 100.000 en France, classée comme zone de haute prévalence.

Un centre pionnier, une réalité dégradée

En 2011 «Nehme & Therese Tohme Multiple Sclerosis Center à l’AUBMC», le premier centre spécialisé SEP du Liban et de la région était créé. À l’époque, le pays faisait figure de référence dans le monde arabe: traitements modernes disponibles, remboursement étatique efficace, soutien des mutuelles et des caisses sociales.

«Le remboursement atteignait 100%, on avait toutes les classes de médicaments, sans exception. Même la CNSS couvrait jusqu’à 90% des traitements», se souvient Maya Zeineddine. L’armée, les FSI, les assurances privées participaient aussi à cet écosystème qui faisait du Liban un modèle.

Un effondrement brutal

Mais la crise de 2019 a brisé cette dynamique. «Aujourd’hui, seuls deux traitements sont encore fournis par le ministère de la Santé (un interféron et le rituximab), contre dix-huit auparavant. Les grands laboratoires (Novartis, Biogen, Janssen…) ont quitté le pays. Et les patients sont les grands oubliés.»

Les conséquences sont dramatiques: dans une enquête publiée cette année par Dr Zeineddine, 62% des malades ont dû interrompre leur traitement. «Un chiffre calamiteux, car la majorité des atteintes sont irréversibles. Sans traitement, la qualité de vie se dégrade rapidement.»

La CNSS, autrefois moteur du remboursement, ne couvre aujourd’hui plus que 10% des frais réels, laissant les patients livrés à eux-mêmes. Les mutuelles privées ne remboursent plus rien ou presque. Seules l’armée et les FSI assurent encore une certaine prise en charge grâce aux nouvelles subventions. Les assurances premium prennent en charge certains traitements innovants (comme l’ocrelizumab), mais ces cas sont devenus exceptionnels.

Un traitement à vie, des coûts colossaux

La SEP n’est pas un cancer. Elle ne se traite pas sur une durée limitée, mais à vie. Les médicaments les plus récents sont inaccessibles à la majorité: un seul comprimé de Mavinclad peut coûter jusqu’à 2.000 dollars. Par ailleurs, les traitements injectables, souvent les seuls disponibles, sont contraignants pour les patients phobiques ou très mobiles.

À cette lourde facture s’ajoutent les IRM de suivi (300 USD), les consultations de spécialistes, les complications (infections, dépressions, troubles urinaires), les analyses de sang régulières nécessaires au suivi des traitements, les soins non couverts comme la physiothérapie ou la psychothérapie et l’achat d’équipements (cannes, fauteuils roulants, etc.).

Un combat mal soutenu

«Contrairement aux associations actives dans la lutte contre le cancer, les sociétés qui soutiennent les personnes atteintes de SEP reçoivent très peu de fonds», déplore Maya Zeineddine. «Pourtant, c’est une maladie coûteuse, invalidante et mal comprise. Le Liban risque de perdre tout ce qu’il avait construit.»

Ils marchaient hier, ils boitent aujourd’hui. Et demain? Ils espèrent. Mais l’espoir, seul, ne remplace ni les traitements, ni les IRM, ni la volonté politique. Au Liban, ce ne sont pas les jambes qui lâchent. C’est le système.

 

 

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