
À l’approche des municipales, le caza de Zghorta se transforme en champ de bataille politique. Plus que des enjeux locaux, c’est le contrôle de la fédération des municipalités qui se joue.
Dans le caza de Zghorta, les élections municipales dépassent largement le cadre local. Elles deviennent des affrontements politiques structurés, cristallisant la rivalité historique entre deux grands pôles: la coalition Michel Mouawad–Jawad Boulos, d’une part, et le courant des Marada dirigé par la famille Frangié, d’autre part. Ici, plus qu’ailleurs, le familial est intimement lié au politique: les dynasties locales façonnent les équilibres de pouvoir depuis des décennies, et les batailles électorales sont indissociables des noms qui les portent.
Jusqu’ici, le camp Frangié a su préserver son contrôle sur les principales institutions locales, remportant notamment la municipalité de Zghorta et la présidence de la fédération des municipalités lors des quatre dernières échéances. Mais aujourd’hui la dynamique semble changer.
En 2016, un accord avait été brièvement conclu entre les deux camps, basé sur les résultats des législatives. Il avait vite volé en éclats, provoquant le retrait de Michel Mouawad et celui de Jawad Boulos du conseil municipal, ce qui avait mené à une paralysie durable de la municipalité de Zghorta. Depuis, la rupture est consommée.
Une source proche du mouvement de l’Indépendance de Michel Moawad explique que «le mouvement ne mène pas la bataille à Zghorta-ville par choix stratégique». Le poids historique des Frangié dans la ville rend une victoire peu probable. Le camp Mouawad compte soutenir une liste composée d’indépendants et de figures de la société civile.
Ce choix stratégique s’explique par une priorité plus large: celle de contrôler la fédération des municipalités, qui regroupe 25 municipalités du caza (sur un total de 32). Pour la source proche du mouvement, «c’est la véritable bataille aujourd’hui». Chaque camp y aurait déjà sécurisé 10 à 11 municipalités, tandis que 2 à 3 municipalités qualifiées de «swing» restent susceptibles de faire pencher la balance.
Les deux affrontements les plus décisifs se joueront à Ardeh et à Rachiine, municipalités pivots dans cette bataille pour la fédération. Dans ces deux localités, la coalition Marada-Courant patriotique libre (CPL) affronte les Forces libanaises et le Mouvement de l’indépendance, avec en toile de fond un certain ancrage de la société civile.
La fédération des municipalités: un enjeu stratégique majeur
Contrôler la fédération des municipalités, c’est «prendre la deuxième aorte vitale du développement dans la région», affirme-t-on dans les cercles proches du dossier. Et pour cause: Zghorta-ville et la fédération reçoivent l’essentiel des financements dans le caza. Certaines petites municipalités, elles, ne disposent que d’un budget annuel d’environ 3.000 dollars.
Depuis 1998, le clan Frangié maintient un contrôle rigide sur ces deux structures. Selon la source proche du Mouvement de l’indépendance, «85 millions de dollars, issus des impôts des citoyens, ont été dépensés durant ces 27 années sans aucune retombée tangible sur le développement du caza». La majeure partie de ces fonds aurait été affectée à des emplois clientélistes ou à des projets fictifs, tandis que «plus de 40 millions» auraient été alloués à des aides sociales et versées à des partisans, sans critères clairs d’attribution.
Aujourd’hui, Zghorta croule sous les déchets, l’eau n’est plus distribuée, les infrastructures sont délabrées. «On sait qu’en passant par la municipalité de Zghorta, on n’a aucune chance d’avancer. Alors, on vise la seule autre voie capable de débloquer les choses: la fédération. C’est aussi simple que cela», résume notre source.
Le Mouvement de l’indépendance affirme s’appuyer sur son bilan, en particulier à travers les projets concrets menés par la Fondation René Mouawad, active dans tout le Liban. Ce travail de terrain ainsi que la mauvaise gestion du caza par leurs adversaires seraient pour beaucoup dans le regain d’influence du camp: sur les 32 municipalités du caza, il espère en remporter environ 20, contre seulement 4 ou 5 lors des précédents scrutins.
Dans le caza de Zghorta, les municipales servent ainsi de révélateur à une recomposition plus large des rapports de forces. La rivalité entre les camps Mouawad-Boulos et Frangié s’y exprime pleinement. Et si la municipalité de Zghorta reste un bastion difficile à déloger, c’est à travers la fédération des municipalités que se joue aujourd’hui le cœur de la bataille politique.
Une bascule de cette structure clé pourrait marquer un tournant majeur dans les équilibres de pouvoir — non seulement localement, mais aussi en vue des législatives de 2026. Les fédérations de municipalités au Liban constituent en effet un levier stratégique de pouvoir local, tant par leur poids financier que par le réseau d’influence qu’elles permettent d’activer auprès des électeurs.
Dans ce contexte, une perte du contrôle de la fédération par le camp Frangié — déjà fragilisé par les dynamiques politiques nationales et régionales et dont les résultats aux dernières législatives n’ont guère brillé – pourrait constituer un ultime coup de massue porté à son poids politique, tant sur le plan local qu’à l’échelle nationale.
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