
Le 8 mai 2025 marque le 80e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le monde s’apprête à rendre hommage à ce tournant historique. Mais les usages politiques de la mémoire de 1945 révèlent de profondes fractures géopolitiques. Entre célébrations, réécriture ou oubli, les récits du passé se transforment aujourd’hui en outils de pouvoir.
Ce jeudi 8 mai est un jour de commémoration où, partout dans le monde, chefs d’État, vétérans et institutions rendront hommage aux héros et victimes de la Seconde Guerre mondiale. Derrière les gerbes de fleurs, les hymnes nationaux et les grands discours, se cache un phénomène politique: celui d’une mémoire disputée de plus en plus instrumentalisée.
Après quatre-vingts ans, la guerre n’est plus seulement qu’un souvenir; elle est devenue un terrain d’affrontement idéologique. Chaque pays façonne son propre récit, en fonction des intérêts identitaires ou diplomatiques. Et si certains États construisent une identité commune autour de cette mémoire, d’autres l’effacent peu à peu de leur histoire officielle.
En Europe, les récits nationaux diffèrent. En Allemagne, le devoir de mémoire est bien établi, mais il peut susciter une forme de lassitude. En France, des débats persistent sur le rôle du régime de Vichy ou sur les liens entre guerre et période coloniale. En Italie et en Hongrie, certaines figures liées aux régimes fascistes du XXe siècle retrouvent parfois une certaine légitimité publique.
Si l’Europe affiche une volonté de cohésion autour des valeurs démocratiques, elle peine à établir un récit véritablement commun de la Seconde Guerre mondiale. La mémoire demeure nationale, fragmentée et parfois mobilisée dans des débats politiques contemporains.
À mesure que les témoins disparaissent, la guerre devient un objet de discours plus que de souvenir. Les récits, eux, s’affrontent. Car derrière les gestes symboliques, la Seconde Guerre mondiale reste une histoire disputée.
L’histoire au cœur des affrontements idéologiques
Dans d’autres régions du monde, les usages mémoriels prennent une dimension plus politique. En Russie, les célébrations du 9 mai, date marquant la victoire de l’Union soviétique sur l’Allemagne nazie, revêtent une importance particulière. La «Grande Guerre patriotique» constitue un pilier du récit national russe, omniprésent dans les discours officiels, les programmes scolaires et les médias.
Vladimir Poutine instrumentalise cet événement depuis plus d’une décennie pour renforcer l’autorité de son État mais aussi pour construire un récit historique pour la Russie: celui d’un peuple sauveur de l’humanité.
Ce souvenir est également devenu un instrument politique pour le Kremlin. Depuis 2014 et l’annexion de la Crimée, mais surtout depuis 2022 et le début de la guerre en Ukraine, Moscou assimile ses ennemis à des «néo-nazis», comme pour prolonger la légitimité morale de 1945.
Face à ce discours, les pays d’Europe centrale et orientale, notamment la Pologne et les États baltes, ripostent avec leurs armes mémorielles. Des lois criminalisant toute nostalgie soviétique et interdisant la diffusion de symboles soviétiques sont adoptées. Des statues sont déboulonnées et certaines figures de résistance sont réhabilitées.
Pour ces États, l’occupation soviétique post-1945 constitue une autre forme de domination, souvent absente du récit promu par Moscou. Ce conflit de souvenirs cristallise une guerre bien réelle: celle des récits nationaux.
Et le Liban?
Au Liban, la Seconde Guerre mondiale reste peu présente dans le récit national. Pourtant, l’année 1941 marque un tournant: l’opération «Exporter», menée par les forces britanniques et celles de la France libre, met fin à l’administration du régime de Vichy au Levant. À cette occasion, le général Catroux promet l’indépendance au Liban, qui sera officiellement proclamée en 1943.
Cet épisode, bien que fondateur du Liban moderne, reste marginal dans la mémoire collective. Cette absence s’inscrit dans un contexte plus large, où la mémoire nationale libanaise reste fragmentée et les repères historiques partagés encore difficiles à établir.
Les risques d’une mémoire sans ancrage
L’absence de mémoire rend difficile la compréhension du présent. Ce constat dépasse le Liban: dans plusieurs pays, le souvenir de la Seconde Guerre mondiale reflète les tensions d’aujourd’hui.
Elle est parfois mobilisée pour justifier des conflits, entretenir les divisions ou renforcer des régimes. Commémorer 1945 ne devrait pas être un rituel figé, mais une interrogation: que faisons-nous de ce passé?
Instrumentalisée, la mémoire devient dangereuse. Transmise avec exigence, elle peut éclairer l’avenir. À quatre-vingts ans de la fin de la guerre, les débats autour de sa mémoire montrent que l’histoire reste un enjeu profondément contemporain.
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