Au musée d'Orsay, le public invité au bain de jouvence d'un monumental Courbet
Cette photographie montre une vue du musée d'Orsay et du pont Royal dans le centre de Paris, le 10 janvier 2025. ©Martin LELIEVRE / AFP

Pour la première fois, Un enterrement à Ornans, tableau manifeste du réalisme signé Gustave Courbet, fait l’objet d’une restauration fondamentale, visible depuis une baie vitrée au musée d'Orsay.  Une immersion rare dans les coulisses de l’art. 

Le public du musée d'Orsay à Paris va pouvoir suivre la restauration complète d'un tableau monumental du peintre Gustave Courbet (1819-1877), Un enterrement à Ornans, réalisé entre 1849 et 1850, fait rarissime.

Depuis 2019, le Rijksmuseum d'Amsterdam a déjà fait le pari de rénover en public La ronde de nuit de Rembrandt, chef-d'œuvre du siècle d'or hollandais (XVIIe).

Présentée lundi dans le temple de l'impressionnisme, la restauration d'Un enterrement à Ornans se déroulera au sein d'un espace clos spécialement aménagé au rez-de-chaussée où le tableau est habituellement accroché. Elle intervient dix ans après celle de «L'Atelier du Peintre», autre œuvre majeure de Courbet.

Le chantier a été isolé par une palissade dotée de baies vitrées pour permettre au public de suivre en direct le travail des restaurateurs. Des visites commentées seront également proposées gratuitement sur réservation.

«Un enterrement à Ornans» est un «tableau majeur des collections du musée d'Orsay». Il «n'a jamais fait l'objet d'une restauration fondamentale et n'est aujourd'hui plus lisible à la hauteur du choc qu'il a suscité» lorsque le public du IXe siècle l'a découvert, a expliqué Sylvain Ami, président de l'établissement public du musée d'Orsay et de l'Orangerie.

Son châssis est déformé et a occasionné un relâchement de la toile de lin formée de quatre lés dont les coutures sont fragilisées. Les couches successives de vernis ont également opacifié les couleurs et les détails, selon les restaurateurs.

«Déflagration»

Lorsque Gustave Courbet l'expose au Salon (principal salon d'art contemporain de l'époque, NDLR) de 1850, ce tableau aux dominantes sombres ponctuées de rouges, va créer «une déflagration», souligne Isolde Pludermacher, conservatrice générale Peinture au musée d'Orsay.

Celui qui peindra en 1866 L'Origine du monde et qui a déjà reçu une médaille d'or au Salon de 1849, «choque» profondément ses contemporains «par le format monumental (près de 7 m sur plus de 3 m) réservé habituellement aux scènes historiques, religieuses ou mythologiques, qu'il attribue à une scène de genre, un enterrement».

Il y représente le «peuple des campagnes», en peignant de manière très réaliste des habitants de son village natal, Ornans (Doubs), qu'il fait défiler dans son atelier.

Il refuse d'idéaliser les figures, qualifiées «d'ignobles» par certains critiques qui se déchaînent sur les «trognes» de deux bedeaux «aussi rouges que leurs vêtements» et comparent l’œuvre aux images qui décorent les baraques foraines, ajoute la spécialiste.

Courbet en fera son manifeste esthétique, celui du réalisme.

Le contexte politique instable et la présence de deux révolutionnaires de 1793 faisant face au fossoyeur ajoute à la dimension politique de l’œuvre. Elle intervient juste après les journées de révolte ouvrière de juin 1848 et précède de quelques mois le coup d'État du prince-président Louis Napoléon Bonaparte. Certains interprèteront le tableau comme l'enterrement de la Seconde République par les bonapartistes.

Courbet l'a exposé à plusieurs reprises avant de refuser de le déplacer en raison de la fragilité de la toile.

Le tableau «ne souffre pas d'altérations profondes, mais il est recouvert d'un filtre jaune dû aux couches de vernis successives qui l'ont recouvert. Certaines parties de la toile originale ont été repliées sur les bords et un des enjeux est de savoir si elle pourra gagner ou pas en surface», a expliqué Bruno Mottin, spécialiste de Courbet et ancien chargé d'études au C2RMF, le laboratoire des musées de France.

«Les empâtements au couteau ont aussi engendré des craquelures et le blanc de plomb a produit des micro-sphères altérant la toile», a détaillé Cinzia Pasquali, responsable de la restauration picturale.

«Un enterrement à Ornans» a été offert en 1881 au musée du Louvre par la famille du peintre après sa mort. Il a rejoint les collections d'Orsay à son ouverture en 1986.

La restauration doit durer entre 12 et 18 mois. Après une première phase d'études dont un dossier d'imagerie radiographique complet réalisé au C2RMF, sa première étape consistera à «amincir progressivement les vernis et les retouches altérées des quelques restaurations précédentes».

Son financement, dont le coût n'a pas été précisé, est assuré par un mécénat de Bank of America.

Par Sandra BIFFOT-LACUT / AFP

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