
Juliette Binoche personnifie une intensité rare, une puissance sereine teintée de mystère, qui va au-delà des rôles et de l’ère du temps. Cette année, elle est la présidente du jury du 78e Festival de Cannes qui débute le 13 mai. C’est pour elle un retour symbolique sur la Croisette où elle avait remporté le prix d’interprétation en 2010 pour le film Copie conforme d’Abbas Kiarostami.
Juliette Binoche dégage une intensité rare et particulière, une énergie calme animée d’énigme, qui traverse ses personnages. Ce 13 mai 2025, elle prendra la tête du jury du 78ᵉ Festival de Cannes.
Née à Paris en 1964 dans une famille d’artistes, un père mime sculpteur et une mère comédienne, la voie est claire pour Juliette Binoche qui passe par le Conservatoire puis s’impose sur grand écran, dans le monde du cinéma. Elle fait ses débuts avec Rendez-vous de Téchiné en 1985. L’actrice est révélée ensuite par Leos Carax dans Mauvais sang et Les Amants du Pont-Neuf. Son succès est vite reconnu à l’international dans: L’Insoutenable légèreté de l’être, Fatale, ou encore Bleu de Kieslowski. En 1997, elle reçoit l’Oscar du meilleur second rôle pour The English Patient. Elle devient ainsi la seconde Française après Simone Signoret à être primée à Hollywood.
Juliette Binoche fait le grand écart entre les différents genres de cinéma: elle alterne ses rôles entre productions imposantes et films intimistes, incarnant toujours des personnages différents, mue par sa singularité: Caché, L’Heure d’été, Camille Claudel 1915. En 2022, elle captive encore une fois le grand public dans Ouistreham. Elle apprend l’anglais pour ses rôles et perfectionne son accent. Engagée, elle témoigne aussi contre les violences dans les différents milieux culturel, humain et géopolitique. À titre d’exemple, dans Amour et Acharnement, aux côtés de Vincent Lindon, elle évoque Beyrouth dans son «émission radio», juste après l’explosion du port. Une prise de position courageuse et humaine.
L'art du jeu
Chez Juliette Binoche, le jeu dépasse la technique. Dans chaque nouveau rôle, l’actrice se surpasse, dans une dimension naturelle. Elle incarne ses personnages sans artifice, dévoilant l’être de façon brute. D’un regard poignant ou d’un frémissement de corps, elle met à nu la vérité crue de l’humain en proie à une passion ou à une lutte intérieure. Son jeu oscille entre nuance, ruptures et profondeur, donnant à chaque émotion un poids palpable. Elle est connue pour sa polyvalence et sa justesse d’incarnation, que ce soit dans le drame ou la comédie. Elle ose les grands films et les récits intimes.
L’actrice joue ses personnages dans une précision et un naturel qui s’épousent corps et âme. Sur grand écran, ses mouvements physiques et son éventail d’émotions font vibrer les spectateurs qui se sentent en immersion totale dans le film. Son jeu est fait de non-dits, d’émotions verbalisées ou incarnées, de gestes précis, de silences habités, mais surtout, de présence. Elle se donne sans retenue et puise la vérité au cœur de ses personnages. Sa vérité est puissante. Elle crève l’écran. Son être, aussi authentique que sensuel, dévoile les mille facettes de la femme et la sublime.
Juliette Binoche et les réalisateurs multiples
L’actrice a collaboré avec de nombreux réalisateurs de renom. Chacun est connu pour une touche particulière et une couleur singulière. Sa carrière s’est ainsi développée, marquée par des choix aventureux et des face-à-face artistiques à l’écran.
Jean-Luc Godard: Je vous salue, Marie (1985)
Jacques Doillon: La Vie de famille (1985)
André Téchiné: Rendez-vous (1985), Alice et Martin (1998)
Leos Carax: Mauvais Sang (1986), Les Amants du Pont-Neuf (1991)
Philip Kaufman: The Unbearable Lightness of Being (1988)
Louis Malle: Damage (1992)
Peter Kosminsky: Wuthering Heights (1992)
Krzysztof Kieślowski: Three Colors: Blue (1993), White (1994), Red (1994)
Jean-Paul Rappeneau: Le Hussard sur le toit (1995)
Anthony Minghella: The English Patient (1996), Breaking and Entering (2006)
Chantal Akerman: Un divan à New York (1996)
Diane Kurys: Les Enfants du siècle (1999)
Lasse Hallström: Chocolat (2000)
Michael Haneke: Code inconnu (2000), Caché (2005)
Patrice Leconte: La Veuve de Saint-Pierre (2000)
Abbas Kiarostami: Copie conforme (2010)
Olivier Assayas: L'Heure d'été (2008), Clouds of Sils Maria (2014)
Bruno Dumont: Camille Claudel 1915 (2013), Slack Bay (Ma Loute) (2016)
David Cronenberg: Cosmopolis (2012)
Hou Hsiao-hsien: Le Voyage du ballon rouge (2007)
Isabel Coixet: Nobody Wants the Night (2015)
Anh Hung Tran: La Passion de Dodin Bouffant (2023)
Une vision habitée du monde
Juliette Binoche considère le métier d’actrice comme une présence au monde, une mise à nu sincère émanant d’un voyage intérieur et sensoriel à la fois, où l’on «cherche la vérité de l’instant» (Libération, 2024). Elle s’abandonne en toute confiance et sans retenue à ses rôles: «Être acteur, ce n’est pas performer, c’est être traversé» (Libération, 2024), dit-elle, faisant allusion au fait d’accueillir les émotions plutôt que de les fabriquer. Dans Télérama, elle atteste: «On ne joue pas un personnage, on le laisse exister en soi» (2023), brossant un portrait organique de l’incarnation, où le rôle est une extension de l’être. Pour elle, l’art est avant tout lien. Il n’est jamais loin de la réalité ni dissocié du monde ou de la société: «Je ne crois pas en une séparation entre l’intime et le politique. Jouer, c’est prendre position, c’est engager son être» (Le Monde, 2023). Cette perméabilité entre la scène et la vie, elle l’a aussi expérimentée dans sa peau: lors d’un tournage sous-marin, elle a risqué la noyade, affirmant plus tard: «Ce jour-là, mes limites encore mal définies jusqu’alors sont devenues brusquement nettes» (Témoignage parlementaire, 2024). À ce dénudement s’est aussi mêlée une violence plus blasée: dans les années 1980-90, elle a dû affronter «de nombreux castings à passer nue», repousser «remarques sexistes» et «assauts de réalisateurs ou agents» (Libération, 2024). Elle remarque aujourd’hui: «Je suis soulagée de voir et d'entendre les témoignages de femmes et d'hommes qui osent exposer les abus qu'elles et qu'ils ont subis» (Libération, 2024). Chez elle, le jeu est loin d’être artificiel. Il est une forme de vérité. Et nombreuses sont les vérités dans toute la complexité de l’être humain…
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