
Depuis l’indépendance, le Liban n’a connu que trois véritables figures de leadership sunnite à l’échelle nationale.
La première, celle de Riad el-Solh, incarne le pilier du Pacte national, de l’indépendance et du Grand Liban après le retrait français.
La seconde, celle de Saëb Salam, a fait de lui la figure de proue de la communauté sunnite dans la structure issue du chéhabisme et de ses prolongements. Homme de dialogue et porteur d’initiatives audacieuses, il a marqué l’histoire libanaise par ses prises de position, de la révolte contre le mandat de Camille Chamoun à son retrait progressif de la scène politique, au moment où le rôle des sunnites était peu à peu remplacé par la kalachnikov palestinienne et le keffieh de Yasser Arafat.
Certains placent également Rachid Karamé dans cette lignée. Bien qu’il ait joué un rôle politique majeur, il n’a pas exercé une influence unificatrice sur l’ensemble des sunnites du Liban. Ce texte s’intéresse à des leaderships capables de transcender les appartenances locales ou partisanes. Karamé, incontestablement actif, n’a toutefois pas franchi ce seuil.
La troisième figure est celle de Rafic Hariri. Sous son impulsion, les sunnites ont accédé à un pouvoir sans précédent dans l’histoire moderne du Liban. Son assassinat a plongé le pays dans une nouvelle ère, marquée par l’instabilité et la perte de repères.
Son fils, Saad Hariri, a tenté de prolonger cet héritage. Mais très vite, les vents régionaux se sont retournés contre lui. Isolé, affaibli, il a fini par se retirer de la vie politique.
Aujourd’hui, les circonstances semblent rouvrir la voie à plusieurs prétendants au leadership sunnite. La remise en question de la domination politique du Hezbollah, le retour progressif des institutions officielles, le vide laissé par l’absence de Saad Hariri, ainsi que l’émergence de figures comme Nawaf Salam ou Hanine Sayyed, nourrissent de nouvelles ambitions.
Cependant, l’erreur historique réside dans le fait que certains, en quête d’imposition sur la scène sunnite, exploitent les élections municipales à Beyrouth pour faire leur entrée. En recourant à des méthodes dérogeant aux règles établies, ces aspirants risquent d’exacerber les tensions communautaires, de fragiliser davantage la stabilité de la capitale – et en conséquence celle du pays – tout en se positionnant comme garants de l’indépendance du Liban et de son modèle, à travers un prisme strictement sunnite.
Les prochaines élections législatives illustrent bien cette dynamique. Certains estiment qu’en s’imposant à Beyrouth, ils seraient en mesure de constituer une liste large et diversifiée couvrant l’ensemble des circonscriptions du Liban. Pourtant, aucun des acteurs actuels n’a reçu ce mandat, et il ne pourra être accordé sans le feu vert, ni le soutien de l’Arabie saoudite et des États-Unis – un soutien qui demeure, à ce jour, incertain.
Il est regrettable de constater que ceux qui aspirent à ce rôle négligent cette réalité et ignorent les risques qu’ils font peser sur l’équilibre déjà fragile du pays. En manipulant la situation sur le terrain, ils risquent d’affaiblir les communautés minoritaires dans l’espace sunnite élargi. Leur action contribue à façonner une réalité politique incohérente, qui dépasse de loin les enjeux des élections municipales ou de l’attribution de quelques sièges parlementaires, touchant même la possibilité de former une future coalition.
Il est préoccupant de voir qu’un poste aussi stratégique que celui de Premier ministre – ou une position dominante au Parlement – exige tant de manipulation des équilibres politiques et de stratégies d’entêtement.
Commentaires