
Les Libanais ont, à l’évidence, leur attention focalisée actuellement sur les élections municipales – à juste titre, d’ailleurs – mais dans le même temps, ils demeurent, malgré tout, profondément angoissés par les développements régionaux. Plus la situation change, en effet, et plus c’est la même chose. Aujourd’hui, ce sont le déroulement des pourparlers entre Washington et Téhéran et, surtout, le sort qui devrait être réservé aux différents proxys iraniens qui pèsent de tout leur poids sur l’avenir du pays du Cèdre.
La grande question qui hante plus que jamais les Libanais reste de savoir si réellement, comme ne cessent de le crier haut et fort les dirigeants américains, les tentacules du régime des mollahs dans plusieurs pays arabes, plus particulièrement au Liban, seront bel et bien, définitivement, mis hors d’état de nuire. En clair, la milice du Hezbollah pourrait-elle être «sauvée» par un éventuel package américano-iranien (au détriment, donc, de la souveraineté libanaise), ou au contraire les appels US répétés à son démantèlement total sont véritablement sérieux? De la même façon, le subit cessez-le-feu avec les Houthis du Yémen, proclamé par Washington il y a quelques jours, est-il le signe avant-coureur d’un possible accord (transitoire?) avec Téhéran, ou est-il le résultat d’une capitulation de la milice pro-iranienne, comme l’a proclamé le président Donald Trump?
Ce dernier cas de figure n’est sans doute pas très loin de la réalité. À la fin du mois d’avril, une source autorisée au Pentagone indiquait, de fait, que depuis la mi-mars, plus d’un millier de positions et de permanences de la milice des Houthis ont été bombardées par l’aviation américaine. Ces raids intensifs, auxquels ont participé parfois l’aviation britannique et tout récemment les bombardiers israéliens, ont été effectués à un rythme soutenu quasi quotidien, atteignant souvent 30 ou même 50 attaques en une seule journée.
Il ne s’agissait donc pas d’opérations ponctuelles, restreintes et limitées dans l’espace et le temps, mais bel et bien d’une guerre totale enclenchée par l’administration Trump contre la milice yéménite. Les hauts responsables américains ne cachaient pas publiquement que ces raids intensifs constituaient en filigrane un sévère avertissement à l’Iran… Et pour cause: contre vents et marées, le régime des mollahs continuait – et continue toujours – d’entretenir, par le biais de ses proxys, un climat belliqueux anti-occidental dans plusieurs pays de cette partie du monde, en dépit des coups particulièrement durs portés ces derniers mois par les États-Unis et Israël contre l’ensemble de l’édifice militaro-sécuritaire mis en place au Proche-Orient par les Gardiens de la révolution islamique iranienne.
L’impressionnante puissance de feu et les moyens technologiques surréalistes dont bénéficie l’aviation américaine, sans compter ceux des Britanniques et des Israéliens, auront, certes, détruit dans une très large mesure la capacité de nuisance des Houthis mais sans, toutefois, en venir à bout totalement puisque la milice pro-iranienne continue toujours de lancer de manière intermittente des missiles à longue portée contre Israël, en menaçant par la même occasion le trafic maritime commercial en Mer rouge. C’est dire l’ampleur irraisonnée de l’arsenal militaire iranien déversé sans compter, pendant des années, au Yémen, dont la zone contrôlée par les suppôts de Téhéran a été transformée de bout en bout en un gigantesque entrepôt de missiles et d’armes de tous genres.
Même scénario à Gaza où au fil des ans des dizaines de milliards de dollars ont été transférés, avec le consentement du gouvernement israélien, au Hamas qui a investi ces montants, non pas dans des projets de développement, mais dans la construction de centaines de tunnels souterrains, véritable chasse gardée des miliciens. Concrètement, l’emmagasinage d’armes et de missiles dans les sous-sols de Gaza n’aura servi en définitive qu’à lancer de temps à autre quelques missiles en direction de localités israéliennes, ce qui servait de prétexte à l’État hébreu pour se livrer à un matraquage aérien de cette bande territoriale. Il reste qu’à l’instar du cessez-le-feu conclu entre l’administration Trump et les Houthis, l’annonce tard dimanche soir, 11 mai, d’un accord entre Washington et le Hamas apporte une nouvelle donne, et non des moindres, aux efforts US visant à rebattre les cartes de manière significative au Moyen-Orient. Dans un communiqué officiel, le Hamas accepte pour la première fois que la bande de Gaza soit gérée, après l’arrêt des combats, par une «instance professionnelle indépendante, ce qui garantirait le calme et la stabilité pour de longues années». Cette référence à une période de stabilité s’étalant sur de «nombreuses années» (au lieu d’une paix définitive) signifie-t-elle que nous nous trouvons réellement face à un hypothétique accord transitoire avec Téhéran, au prix d’une mise au pas de l’allié de l’Iran à Gaza et au risque d’assister dans quelques années à une résurgence du courant radical belliqueux en Iran?
Il est plus que jamais nécessaire dans le contexte des bouleversements actuels au Moyen-Orient de ne pas perdre de vue un paramètre essentiel: de nombreux indices sur le terrain tendent à montrer que les tenants dogmatiques de «l’exportation de la Révolution islamique» – lancée en 1979 lors de la prise du pouvoir par l’ayatollah Khomeiny – n’ont pas nécessairement baissé les bras et abandonné leur projet idéologique. Ils ont prouvé par le passé leur ferme détermination avec l’appui massif au régime Assad, plaque tournante de l’expansionnisme des Pasdaran, parallèlement à l’émergence en Irak de milices inféodées à Téhéran, sans compter, surtout, le renforcement tous azimuts et démesuré du Hezbollah au Liban grâce à un flux incessant et illimité d’aides financières, militaires, logistiques, socio-économiques et politiques. Le résultat libanais de ce parrainage envahissant aura été, là encore, la construction à perte de vue et à grande échelle de larges entrepôts d’armes et de missiles ainsi que de dizaines de tunnels souterrains, à vocation exclusivement milicienne, dans de larges parties du territoire contrôlé par le Hezbollah.
Face à de telles réalités, l’on ne peut s’empêcher de soulever dans le contexte actuel des questions qui fâchent, peut-être, mais qu’il n’est plus possible d’occulter: comment expliquer que toute cette infrastructure militaire ait été construite et déployée (surtout à Gaza et au Liban-Sud) sans aucune réaction au départ, ne fut-ce que médiatique et politique, des autorités israéliennes? Plus grave encore, à quoi a servi en définitive l’ensemble de cet impressionnant arsenal iranien, déployé du Yémen au Liban, en passant par l’Irak, la Syrie et Gaza, à part apporter la mort, la destruction, la ruine et l’exode de la population dans ces pays?
Comment expliquer en outre rationnellement, en toute transparence, que cette aide militaire illimitée n’ait pas permis de progresser d’un iota «sur la voie de Jérusalem»? La mise en place par le régime des mollahs de l’ensemble de ces proxys dans certaines zones du monde arabe avait-elle pour seul but de renforcer la position de l’Iran dans ses négociations avec les États-Unis et de consolider son expansionnisme régional, ou plutôt de se doter de cartes maîtresses dans une confrontation ouverte à connotation idéologique et «culturelle» avec l’Occident?
Les partisans en Iran (nombreux, semble-t-il) de cette dernière option ne manquent pas de faire entendre intensivement leur voix, à en croire les débats internes rapportés par les médias et la presse en Iran. Si bien que laminer au maximum les proxys au Liban, au Yémen, à Gaza et en Irak est une condition, certes, nécessaire pour une stabilité durable au Moyen-Orient, mais elle n’est nullement suffisante. Car s’abstenir de régler le problème à la base, radicalement, à Téhéran même, au niveau des idéologues iraniens jusqu’au-boutistes, reviendrait à maintenir la source du mal et à lui accorder un sursis. Cela équivaudrait à se contenter d’une pause de courte durée et à semer les germes d’une relance du conflit, du bras de fer anti-occidental, à plus ou moins moyenne échéance.
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