
Alors que la visite de Mahmoud Abbas à Beyrouth relance les discussions sur la souveraineté libanaise, un processus concret de désarmement des factions palestiniennes dans les camps de réfugiés a été engagé. Entre nouvelle dynamique régionale et équilibres internes fragiles, le Liban tente de refermer une plaie ouverte depuis plus de cinquante ans.
Un événement politique sans précédent est en train de se dessiner au Liban. Pour la première fois depuis la signature – puis l’abrogation – de l’accord du Caire, un mécanisme officiel et concret a été engagé en vue du désarmement des factions palestiniennes dans les camps de réfugiés.
Le président palestinien, Mahmoud Abbas, s’est entretenu, le 21 mai 2025, au palais de Baabda, avec son homologue libanais, Joseph Aoun. Dans un communiqué conjoint publié à l’issue de la rencontre, les chefs d’État ont insisté sur la nécessité de confiner les armes aux mains de l’État libanais et de renforcer la coordination entre les autorités libanaises et palestiniennes afin d’assurer la stabilité dans et autour des camps.
Ce processus pourrait marquer un tournant historique non seulement dans les relations libano-palestiniennes, mais surtout dans l’affirmation de la souveraineté libanaise.
Nouveau contexte, nouvelle démarche
«Le comité de dialogue libano-palestinien existe depuis au moins deux décennies, explique Ali Hamadé, journaliste et politologue. Mais il était resté dormant vu l'impossibilité de s'attaquer à la question des armes palestiniennes pour des raisons géopolitiques».
«Ce projet figurait déjà dans le discours d’investiture du président Joseph Aoun, ainsi que dans la déclaration de politique générale du nouveau gouvernement», rappelle-t-il.
Ce qui change aujourd’hui, selon M. Hamadé, c’est qu’«on aborde officiellement et concrètement un mécanisme pour le retrait des armes palestiniennes, rendu possible par la nouvelle donne géopolitique dans la région».
La chute du régime syrien, le recul de l’influence iranienne et la relance d’un processus politique autour du conflit israélo-palestinien ont redéfini les équilibres internes et régionaux. La visite de Mahmoud Abbas à Beyrouth en est la preuve.
Des moyens politiques dans un terrain miné
Le calendrier du désarmement des camps palestiniens prévoit un démarrage juste après l’Aïd al-Adha, à la mi-juin, avec une première phase dans les camps de Beyrouth (Borj el-Barajné, Sabra, Chatila, Mar Élias). L’opération s’étendrait ensuite au Nord, à la Békaa, puis, en dernier, au Sud. Et pour cause: c’est à Saïda, dans le camp d’Aïn el-Heloué – véritable ville de près de 150.000 habitants – que les résistances s’annoncent les plus coriaces. Ce camp abrite une mosaïque de groupes armés, allant du Fateh au Hamas, en passant par des groupuscules islamistes radicaux.
«Il y a au moins une quinzaine de factions présentes dans les différents camps, dont certaines ne sont pas en bons termes ni avec le Fateh ni avec l’Autorité palestinienne», rappelle M. Hamadé. Ce sera donc «un processus assez délicat, sous-tendu par des tractations politiques, peut-être assez long, qui s’étalerait sur plusieurs mois», ajoute-t-il.
Reste à savoir si la volonté politique suffit. La multiplicité des acteurs armés et l’enchevêtrement des allégeances rendent l’application du plan extrêmement complexe. Suffira-t-il que Mahmoud Abbas ait exprimé un soutien clair à la souveraineté libanaise?
Des cadres du Fateh ont déjà exprimé publiquement leur réticence. L’État libanais, pour réussir, devra-t-il mener des négociations individuelles avec chaque faction? Selon des sources citées par le journal Al-Anbaa, le Liban devrait s’en tenir à un seul interlocuteur: l’Autorité palestinienne, représentante légitime du peuple palestinien.
Pour le moment, les signaux semblent encourageants. Le Premier ministre, Nawaf Salam, lors de la première réunion de la commission conjointe, tenue le 23 mai, a salué l’initiative palestinienne et demandé aux services compétents d’accélérer la mise en œuvre d’un «mécanisme clair, avec un calendrier précis».
Une page de l’histoire va-t-elle enfin se tourner?
À l’échelle historique, l’entreprise revêt une charge symbolique considérable. Elle semble enfin concrétiser l’abrogation officielle de l’accord du Caire, pourtant votée dès 1987 par le Parlement libanais. Cet accord, signé en 1969, avait institué une autonomie militaire palestinienne au sein du territoire libanais. Véritable boîte de Pandore, il avait transformé les camps en zones de non-droit et contribué au déclenchement de la guerre civile. Le fait que l’Autorité palestinienne elle-même prenne aujourd’hui acte de la mort de ce traité constitue une étape cruciale.
M. Abbas aurait déclaré à ses interlocuteurs au Liban que les armes palestiniennes nuisaient gravement à la souveraineté de l’État libanais, mais également à la cause palestinienne elle-même, selon des sources citées par Houna Loubnan.
«Ces armes n'ont plus, depuis très longtemps, aucune utilité au niveau du conflit palestino-israélien, mais sont devenues source de conflits internes entre les Palestiniens», commente à son tour M. Hamadé.
Si la question palestinienne est aujourd’hui abordée, celle des milices libanaises, elle, est «très compliquée», selon les termes de M. Hamadé, «vu que le Hezbollah refuse tout plan de désarmement au nord du fleuve Litani». En outre, «ce groupe représente quand même une partie de la population libanaise, a 27 députés au Parlement, la totalité des sièges chiites, d’où la complexité du problème», explique-t-il.
Le désarmement des camps palestiniens marquera-t-il, malgré tout, la fin d’un long chapitre de violences? Le Liban, aujourd’hui recentré autour de ses institutions officielles, veut le croire. Encore faudra-t-il que les promesses se traduisent en actes et que l’État, enfin, impose sa loi sur l’ensemble de son territoire.
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