
À l’heure où les négociations pour mettre fin à la guerre Israël-Hamas reprennent, tandis que celles sur le nucléaire iranien se maintiennent, les pays du Golfe occupent plus que jamais le centre de l’attention diplomatique mondiale. De Mascate à Doha, en passant par Riyad et Abou Dhabi, voici les caractéristiques de ce nouveau rayonnement du Golfe.
Le 8 décembre 2024, le secrétaire général du Conseil de coopération du Golfe (CCG) déclarait que les pays composant le CCG «sont engagés à renforcer le dialogue et la diplomatie afin de garantir que la région du Golfe reste une passerelle pour la paix et la coopération dans un contexte de compétition mondiale croissante». Une déclaration qui s’inscrivait dans le cadre d’une table ronde sur l'avenir de la sécurité coopérative dans la stabilité régionale, lors du 22ᵉ forum de Doha, au Qatar.
Quatre mois plus tard, les pays du Golfe semblent avoir appliqué à la lettre ces recommandations. Tandis que continuent, au sultanat d’Oman, des négociations entre Iraniens et Américains, le Qatar continue de s’imposer, aux côtés de l’Égypte, comme le principal arbitre dans le cadre de la guerre Israël-Hamas.
Quant à la principale force de l’organisation, l’Arabie saoudite, elle est devenue le médiateur de choix pour la résolution du conflit en Ukraine. De leur côté, les Émirats arabes unis ne sont pas en reste, jouant un rôle dans le cadre des dossiers iranien, ukrainien, ainsi que syrien.
Une dynamique qui, en réalité, s’inscrit dans une temporalité plus longue. Depuis le début du 21ᵉ siècle, ces États ont progressivement cherché à jouer un rôle de plus en plus actif sur la scène diplomatique mondiale.
Oman: le précurseur
L’avant-garde diplomatique du Golfe reste sans aucun doute le sultanat d’Oman. En effet, sa politique de médiation commence à prendre forme après la prise de pouvoir, en 1970, de Qabous Ibn Saïd qui modernise en profondeur son pays. Cela débute par la guerre Iran-Irak, où Mascate demeure l’une des rares capitales arabes à maintenir des relations avec les deux camps pour encourager le dialogue.
Oman joue ensuite un rôle dans le cadre des crises successives qui frappent le Yémen, en facilitant les contacts entre factions rivales. Dans les années 2000-2010, le gouvernement omanais a aidé à la libération d'otages occidentaux dans la région, notamment trois Américains détenus en Iran. Enfin, il a œuvré à calmer les tensions dans le Golfe, restant neutre lors du blocus du Qatar, de 2017 à 2021.
Après 50 ans de règne, le sultan Qabous s’éteint en 2020. Son cousin Haitham ben Tariq lui succède, poursuivant la même politique: neutralité constante, discrétion, relations équilibrées avec des acteurs souvent opposés comme l’Iran, les États-Unis ou l’Arabie saoudite… et même la Syrie de Bachar el-Assad avec lequel le sultanat n’a jamais rompu.
En mars 2023, le sultanat joue un rôle majeur dans la réconciliation entre l’Iran et l’Arabie saoudite, appuyant en ce sens les efforts diplomatiques chinois. Enfin, il faut ajouter qu’il reste ouvert à la communication avec Israël, tout en conditionnant sa reconnaissance à l’avènement d’un État palestinien.
Autant d’éléments permettant à Mascate de s’assurer une réputation solide en matière de médiation, notamment en ce qui concerne le dossier du nucléaire iranien. Les négociations ayant mené à la signature, en 2015, du Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA), sous l’égide de l’ex-président américain Barack Obama, furent notamment réalisées par l’intermédiaire d’Oman. Ce n’est donc pas un hasard si le sultanat retrouve actuellement son rôle.
«Parler à tout le monde pour le bien de tous»
Une politique que résumait le ministre des Affaires étrangères d'Oman, Badr bin Hamad Albusaidi, par les mots «parler à tout le monde pour le bien de tous», lors d’une conférence donnée au Centre d'études islamiques d'Oxford, le 16 février dernier.
Cette politique s’explique par plusieurs éléments; en premier lieu par sa position géographique. Le territoire principal d’Oman est situé à l’entrée du détroit d’Ormuz par où transite un tiers du gaz naturel liquéfié et près de 25% de la consommation mondiale de pétrole, selon le département américain de l’Énergie.
Mais surtout, le sultanat contrôle l’enclave de Musandam, située au nord de la péninsule du même nom et au niveau le plus réduit du détroit face aux côtes iraniennes, ce qui lui donne le contrôle effectif de cette voie commerciale. Une position particulièrement stratégique, renforcée par un important déploiement militaire omanais local, ainsi qu’un solide soutien sécuritaire américain.
Cette position confère aussi à Mascate une position de carrefour. En effet, le pays se situe traditionnellement à la croisée des échanges entre l’Afrique de l’Est, l’Inde, l’Iran et la péninsule arabique. Cela a permis au sultanat de tisser des liens diplomatiques, économiques et culturels avec des acteurs très différents, avant même l’arrivée du sultan Qabous.
Vient enfin l’identité religieuse unique du pays. En effet, sa population est majoritairement ibadite, une branche de l'islam distincte du sunnisme et du chiisme. Cela lui permet d’éviter les clivages religieux régionaux et d’agir en arbitre neutre entre chiites et sunnites.
Qatar: l’hyperactif
Aux antipodes de la discrétion du sultanat, on retrouve l’émirat du Qatar, chantre d’une diplomatie particulièrement active. La tradition diplomatique de ce dernier débute en 1995, lorsque le cheikh Hamad ben Khalifa al-Thani accède au pouvoir. Celui-ci réforme en profondeur l’appareil diplomatique qatari, en s’appuyant sur les richesses considérables que détient Doha, issues de l’exploitation de gaz offshore.
Entre le renforcement des alliances sécuritaires, notamment avec Washington, et celui de son soft power via le lancement d’Al-Jazeera en 1996, le Qatar affirme rapidement sa position. En parallèle, il conserve de bonnes relations avec le voisin iranien avec qui il partage le plus grand champ gazier du monde. Enfin, à l’image d’Oman, il permet l’ouverture d’un bureau de représentation israélien dans sa capitale en 1996, sans toutefois reconnaître l’État hébreu.
Autant d’éléments qui permettent au Qatar de s’affirmer en tant qu’acteur de médiation. Cela débute avec le Yémen et le Soudan au cours des années 2000, puis, surtout, au Liban: lorsque le Hezbollah envahit Beyrouth le 7 mai 2008, l’émirat contribue activement à mettre fin à la crise. Et quand éclatent les révolutions arabes en 2011, Doha soutient activement les soulèvements, notamment les éléments proches des Frères musulmans.
Une position qui irrite ses voisins, notamment saoudiens. Riyad, qui cherche à fédérer les membres du CCG derrière ses positions, voit d’un mauvais œil les velléités d’indépendance diplomatiques du Qatar, ainsi que sa proximité avec la confrérie. Il impose donc son fameux blocus sur Doha, avec l’aide des EAU, de Bahreïn et de l’Égypte.
Doha la résiliente
Mais le Qatar résiste, tout en retournant cette situation à son avantage. En effet, il renforce ses liens avec d’autres acteurs régionaux, tels la Turquie et l’Iran, de même qu’à l’échelle internationale, avec la France et surtout les États-Unis, pour lesquels Doha sert de médiatrice face aux talibans en Afghanistan.
Outre la diversification de ses liens diplomatiques et les ressources à sa disposition, les raisons de la résilience du Qatar sont aussi à chercher sur le plan intérieur. Avec une population d’environ 200.000 habitants pour une superficie d’environ 11.000 km², l’émirat bénéficie d’un avantage insoupçonné. En effet, il a mis en place un contrat social «implicite» où, en échange de la loyauté au pouvoir, les citoyens bénéficient d’immenses avantages sociaux, financés par les recettes de l’exploitation gazière.
Depuis la crise de 2017, cet accord s’est même mué en sentiment d’unité nationale derrière l’émir Al-Thani. Le risque de troubles sociaux ainsi supprimé, la pétromonarchie peut se projeter sur le long terme. Une consolidation du leadership intérieur a renforcé la légitimité de sa politique étrangère, y compris sa diplomatie active et parfois risquée.
Aujourd’hui, le Qatar est devenu le principal acteur, aux côtés de l’Égypte, dans le cadre des médiations en vue d’une cessation des hostilités à Gaza. La principale raison expliquant cette place de choix réside dans le fait qu’outre une représentation israélienne, Doha héberge aussi le bureau politique du Hamas, dont elle a par ailleurs contribué au financement par le passé. Néanmoins, l’émirat n’agit désormais plus en solo, mais en coordination avec d'autres puissances, comme Le Caire. Une façon de rappeler, comme le pointait en novembre 2024 le chercheur Karim Sader dans un précédent entretien à Ici Beyrouth, que le message de 2017 était clair: «Le Qatar ne peut plus agir seul sans contraintes».
Et pour cause: tandis que Mascate et Doha continuent d’affirmer leur place sur l’échiquier diplomatique régional, les deux capitales doivent désormais faire face à la concurrence de leurs voisins. C’est le cas des EAU et, surtout, du puissant voisin saoudien. Ceux-ci font preuve de caractéristiques propres, que nous aborderons dans un second article.
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