
La maintenance des centrales électriques redémarre, le marché local regorge de fuel, et le rationnement électrique amorce une lente décrue. Une amélioration qui laisse entrevoir un passage possible à une alimentation moyenne de douze heures d’électricité par jour. Pourtant, sans l’entrée en fonction de l’Autorité de régulation prévue par la loi depuis plus de vingt ans, la sortie de crise reste une illusion.
Avant même la formation du gouvernement de Nawaf Salam, l’alimentation avait déjà atteint une moyenne de huit à neuf heures par jour, selon les régions. Ce progrès s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre du Plan d’urgence national (PUN), qui a pris le relais du Plan national pour le redressement durable du secteur énergétique. Mis sur pied après l’échec des tentatives de financement du gaz égyptien et de l’électricité jordanienne, le PUN marque une approche plus pragmatique, recentrée sur les ressources disponibles et la remise en état des infrastructures.
Pas de pénurie de fuel
Le contrat d’achat de fuel irakien a été renouvelé en février dernier pour une quatrième année consécutive, assurant une livraison mensuelle d’environ 160.000 tonnes, contre 125.000 tonnes auparavant. Initialement négocié par l’ancien ministre de l’Énergie, Walid Fayad, l’accord a été officialisé par son successeur Joe Saddi.
Ce partenariat repose sur un mécanisme de troc encadré par les deux gouvernements: l’Irak fournit du pétrole brut, inutilisable tel quel par les centrales libanaises. Ce brut est alors revendu à des sociétés tierces par le biais d’appels d’offres, qui livrent en échange du mazout ou du gasoil compatible. Le Liban ne paie pas en argent, mais en services équivalents, validés par Bagdad: soins médicaux, fournitures pharmaceutiques, prestations éducatives, etc. Le tout est géré via un compte dédié auprès de la Banque centrale d’Irak.
Parallèlement, un deuxième contrat, cette fois-ci, commercial, conclu également sous le gouvernement Mikati, permet à EDL d’acheter du brut irakien au comptant, grâce aux revenus collectés par l’établissement public, conformément à une décision exceptionnelle du cabinet. Ce mécanisme donne à EDL une flexibilité accrue pour se procurer du carburant selon ses besoins, et garantit la continuité et l’augmentation de l’approvisionnement énergétique.
Maintenance des centrales électriques
La maintenance générale des deux unités de la centrale électrique de Zahrani a été achevée. Ensemble, elles peuvent produire jusqu’à 450 mégawatts d’électricité.
À Deir Amar, les travaux de maintenance ont été terminés pour l’une des deux unités, tandis que la seconde est actuellement en cours de révision. Leur achèvement est prévu d’ici fin juin, ce qui permettra de doubler la capacité de production de la centrale, passant de 225 à 450 MW.
Les différends contractuels avec MEP, l’opérateur des centrales de Zouk et Jiyyeh, ont été résolus. L’exploitation de ces deux sites a repris en décembre 2024, parallèlement au lancement d’un programme de révision générale de 14 unités réparti sur deux ans (2025 et 2026). À tout moment, 13 unités resteront en fonctionnement, tandis qu’une sera en maintenance, assurant une capacité de production de 250 MW injectés dans le réseau.
«En y ajoutant la production hydraulique d’EDL via les installations de l’Office du Litani, ainsi que les centrales d’Al-Bared et de Qadicha (entre 100 et 150 MW), la production électrique totale atteindra environ 1.250 MW. Cela représente en moyenne douze à quatorze heures d’électricité par jour à l’échelle nationale», affirme Walid Fayad à Ici Beyrouth.
EDL: sans régulateur et investissements privés, pas de sortie de crise
Malgré la sécurisation des stocks de produits pétroliers et la reprise progressive de la maintenance des centrales, le redressement complet du secteur électrique demeure hors de portée. En cause: l’absence de l’Autorité de régulation du secteur énergétique, pourtant prévue par la loi 462 depuis 2002.
Ce vide institutionnel ralentit toute réforme structurelle, alors même qu’EDL est pointée du doigt pour avoir absorbé près du quart du «trou financier» à l’origine de la crise de 2019.
La mise en place de cette autorité indépendante – seule habilitée à fixer les tarifs officiels de l’électricité et à encadrer l’intervention du secteur privé – constitue, avec les investissements privés, qui restent otages d’un feu vert de la communauté internationale, deux conditions sine qua non à toute restructuration viable.
Le ministre de l’Énergie actuel, Joe Saddi, s’efforce d’activer ce dossier, en collaboration avec la Fonction publique et le ministère du Développement administratif, afin de nommer ses membres conformément aux critères de transparence exigés.
Tant que cette autorité ne sera pas opérationnelle, le monopole d’EDL restera intact, et les projets de partenariat public-privé resteront bloqués, entretenant le désordre et l’inefficacité du système.
Le plan de réforme de l’énergie de Georges Frem (début des années 1990)
Feu le ministre Georges Frem, industriel visionnaire, avait présenté un plan ambitieux sous le mandat du président Élias Hraoui. En voici les grandes lignes:
- Approche industrielle et pragmatique: Georges Frem voulait gérer le secteur de l’énergie selon les principes de l’entreprise privée, en l’ouvrant progressivement à la concurrence.
- Production décentralisée: Il préconisait le développement de centrales thermiques régionales (Zahrani, Deir Ammar), avec une gestion semi-autonome.
- Énergie propre et diversification: Il envisageait une transition vers le gaz naturel au lieu du fuel lourd, bien avant que le sujet devienne d’actualité.
- Partenariat public-privé (PPP): L’ancien ministre souhaitait attirer des investisseurs privés pour financer la modernisation des infrastructures.
- Réforme de la gouvernance: Il plaidait en faveur d’une autorité de régulation indépendante et d’un plan de réduction progressive des subventions.
Malheureusement, ce plan a été torpillé par des résistances politiques, des intérêts croisés et le retour de logiques clientélistes. Il est souvent qualifié d’occasion manquée majeure.
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