Un rêve médiéval en construction au XXIe siècle
Un participant travaille sur le chantier de construction d’une «cathédrale» gothique utilisant des techniques médiévales, le 16 mai 2025 à La Lande-de-Fronsac, près de Bordeaux, dans le sud-ouest de la France. ©Philippe LOPEZ / AFP

En Gironde, une association bâtit en quarante ans une chapelle romane, un cloître et une cathédrale gothique avec les techniques du Moyen Âge. Ce projet unique mêle passion du patrimoine, inclusion sociale et transmission des savoirs.

Construire en quarante ans une chapelle romane, un cloître puis une grande église gothique avec les techniques du Moyen Âge, c’est le pari «fou» d’une association du sud-ouest de la France qui mise sur la dimension sociale du projet.
Sur un grand terrain verdoyant de la Lande-de-Fronsac, près de Bordeaux, des moutons broutent, imperturbables, non loin d’une poignée d’hommes et de femmes en tenue médiévale qui préparent du torchis à l’aide de grandes pelles.
«Bienvenue au XIe siècle, dans le chantier médiéval de Guyenne (ancienne province du sud-ouest de la France, ndlr) où l’on va retracer l’épopée des bâtisseurs de cathédrales et raconter 300, 400 ans d’évolution de l’architecture en 40 ans», s’enthousiasme Valéry Ossent, ingénieur en BTP de 43 ans à l’origine du projet.
«Aujourd’hui on fait beaucoup de restauration de patrimoine, parfois en un temps record, avec de la haute technicité. Moi, ce qui m’intéressait, c’était de construire du neuf avec les techniques anciennes», explique ce passionné des métiers du patrimoine.
Il invite à se projeter en l’an 1025, le premier âge roman, lorsqu’une communauté de moines vient construire une chapelle sur ce terrain.
Un an et demi après le début du chantier, les murs de ce bâtiment en pierre et torchis atteignent déjà 1,5 m de hauteur.

«Au XIe siècle, on fait en fonction des moyens et des cailloux disponibles. Comme un Lego géant», sourit Frédéric Thibault, tailleur de pierre de 51 ans qui dirige le chantier et la centaine de bénévoles ponctuels ou réguliers.
«On renoue avec des gestes très simples, et le manque de professionnalisme des bénévoles est passionnant, car il nous permet de retrouver cette naïveté des bâtisseurs de l’époque. Ce qu’il faut, c’est apprendre à désapprendre», insiste ce compagnon, perpendicule (outil basé sur un fil à plomb pour donner la verticalité, ndlr) à la main.
Après la chapelle, un cloître sera construit, puis un grand édifice gothique qui ressemblera aux cathédrales de cette époque, avec vitraux, voûtes en croisée d’ogives, rosaces et gargouilles.
Comme il existe très peu de manuscrits datant du XIe siècle, l’association est soutenue par un comité scientifique, dont la plupart des membres ont travaillé sur le chantier de Notre-Dame de Paris, restaurée après l’incendie de 2019.
Au-delà de «l’immense défi technique», «ça fait du bien de reprendre le temps, pour parler de beauté et capitaliser les savoirs pour les transmettre aux générations futures», souligne M. Ossent.

Une «dimension sociale» est aussi venue progressivement se greffer au projet. «Quand on s’implante dans un territoire sur des dizaines d’années, il faut faire profiter les habitants, notamment les publics fragiles», explique le quadragénaire qui a décidé d’en faire un «chantier d’insertion», en embauchant des chômeurs, formés sur place.

L’association accueille également sur le chantier des personnes handicapées, des repris de justice, des mineurs isolés, «et le lien social qui se crée ici est déjà une réussite en soi», estime-t-il.
Les bénévoles ont déjà construit une loge d’habitation en terre et paille, une forge, un tour à bois, un jardin médiéval avec plus de 70 espèces de plantes médicinales et aromatiques. Et ils préparent la loge des menuisiers, le four à pain ou encore un poulailler.
«Quand on arrive ici, on plonge dans un autre monde, loin du XXIe siècle. C’est une grande parenthèse qui fait du bien, nous permet de nous couper momentanément des soucis d’un quotidien où tout va trop vite», estime Corine Tanquerel, une bénévole.
«C’est passionnant de pouvoir participer à un projet où je suis utile, laisser quelque chose derrière moi, même si je n’en verrai pas la fin», ajoute la sexagénaire, qui a fabriqué elle-même sa tenue médiévale.
«La fin du chantier n’est pas le but. C’est le chemin parcouru pour y arriver qui nous intéresse», abonde Valéry Ossent, pour qui l’un des plus importants défis sera d’assurer le financement.
Aujourd’hui, les pouvoirs publics contribuent à hauteur de 10% du budget annuel actuel de 300.000 euros. Le reste est financé par du mécénat d’entreprises ou de particuliers. L’objectif à terme est de réunir 1,5 million d’euros par an.

Par Marisol RIFAI

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