
Après avoir été présentée au Lavoir moderne parisien, Bérénice bilingue est attendue cet été au Festival d’Avignon. La pièce réunit les alexandrins de Racine et l’arabe littéraire dans une mise en scène signée Marie Benati et Sanae Assif. Ce spectacle bilingue, interprété par une troupe pluriculturelle, revisite la tragédie classique à travers les prismes de l’exil, de l’amour interdit, des fractures culturelles contemporaines et des frontières infranchissables ou abolies.
Bérénice, au Lavoir moderne parisien, est mise en scène par Marie Benati et Sanae Assif. L’amour est en exil sur une heure trente où les alexandrins immuables de Racine flirtent avec une traduction en arabe littéraire. Avec Sanae Assif, Ghina Daou, Edouard Dossetto, Leslie Gruel, Adam Karoutchi et Majd Mastoura, l’interprétation se révèle habitée, dense et vibrante. La création lumière a été pensée par Raphaël Bertomeu et la création sonore par Osloob. La scénographie a été confiée à Pierre Mengelle.
«En proposant le chef-d'œuvre de Racine dans une version bilingue français/arabe, nous plaçons les enjeux politiques au cœur de l'intrigue amoureuse. Dans cette histoire où la xénophobie joue le premier rôle, la poésie – celle des alexandrins de Racine et celle de l'arabe littéraire – demeure un pont entre les êtres, entre les cultures, l'outil de l'amour et de la résistance», écrit le collectif dans sa note d’intention.
Après huit jours de deuil consécutifs à la mort de l’empereur Vespasien, son fils Titus accède enfin au trône. Désormais, un seul nom circule sur toutes les lèvres à Rome: Bérénice. L’Empereur officialisera-t-il son amour pour cette maîtresse venue de Palestine? Rome s’apprête-t-elle à voir une reine étrangère côtoyer des César?
Après les premières représentations à Paris, le collectif a pour destination Avignon cet été. Cette expérience hardie avait déjà commencé l’année dernière à l’Institut du monde arabe en lecture. Un défi, un grand défi que celui que s’étaient imposé ces comédiens après le succès de la lecture de Bérénice en français et en arabe littéraire l’année dernière à l’IMA. En effet, il a été relevé, et cette année la troupe a entamé ses premières représentations publiques dans une mise en scène symbolique et épurée à la fois, s’appuyant en grande partie sur un jeu d’ombre et de lumière, qui promulguait un aspect onirique à la représentation, plongeant le public dans un espace entre réel et fiction, un lieu hors temps, porté par des silences, des corps qui brisent les codes des tragédies raciniennes, s’étreignent, se touchent, s’embrassent et s’embrasent. Après une tension prolongée, entre les non-dits, l’incompréhension linguistique, culturelle et le silence, ils cèdent à l’appel des âmes.
Le choix du bilinguisme, bien que prenant a priori dans le monde racinien, est justifié. En effet, Bérénice est l’étrangère exilée, celle qui ne sera jamais chez elle, celle qui se sentira toujours de trop, l’amoureuse passionnée au-delà de l’impossibilité de l’amour, l’acharnée irrationnelle au-delà de la noblesse du devoir. Et pourtant, c’est en toute dignité qu’elle avoue son amour dans toutes les langues à sa portée: sa langue maternelle… et l’autre. Et qu’est-ce que la langue maternelle, sinon la langue de Racine, celle ultime de l’amour, de la passion, de la poésie?
Sur des planches où tout vacillait mais tenait à un fil inébranlable, la place des domestiques était parfaitement consacrée. Ils remplissaient le rôle, entre costumes de soldats romains et de Star Wars. C’est cette fluidité entre classique et contemporain, entre deux pôles de culture, de demandes, de différences, de blessures, qui a réussi à traduire au public, quelle que soit son appartenance linguistique, culturelle ou territoriale.
Concrètement, essentiellement francophones ou arabophones, les différents accents des acteurs, leur aisance dans une langue ou dans une autre, leur bilinguisme affirmé et leur gestuelle racontaient tout un vécu émotionnel. Chaque personnage vibrait au rythme de son être, essentiellement authentique. Les acteurs interprétaient ainsi d’une manière particulière les alexandrins sacrés de Racine, comme des outils d’une autre culture, venus essentiellement combler la grande histoire de leurs personnages, l’immense absurdité de toutes les guerres du monde, et, secrètement, entre une larme ou un sourire, leur petite histoire intérieure. Le public en demeurait suspendu à leurs mots, et la scène, en plein milieu de Paris, était habitée par des émotions étrangères, intimes et universelles à la fois.
Ce qui est sûr, c’est que la persévérance et l’acharnement de la troupe ont payé. Acte après acte, le chant bilingue de l’impossible amour apprivoise les cœurs. On croise les doigts pour Avignon cet été.
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