La Garde nationale à Los Angeles: entre pouvoir et tensions politiques
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À la suite des manifestations contre le Service de l’immigration et des douanes (ICE) à Los Angeles, les tensions ont brusquement monté d’un cran ce week-end.

La Garde nationale de Californie se retrouve aujourd’hui au cœur d’un bras-de-fer à la fois institutionnel, juridique et politique. Et pour cause: son déploiement n’a pas été demandé par les autorités locales, conformément aux textes en vigueur, mais a été décidé unilatéralement par Washington.

Qu’est-ce que la Garde nationale?

La Garde nationale repose sur un statut hybride. Sous contrôle des États américains (Titre 32), elle peut être mobilisée par les gouverneurs pour gérer des crises locales – incendies, inondations, manifestations. Mais lorsqu’elle est placée sous commandement fédéral (Titre 10), elle devient une composante de l’armée américaine, dépendant du ministère de la Défense. Ses membres sont souvent des soldats à temps partiel, qui alternent entre leur vie civile et des missions, y compris à l’étranger.

Pourquoi ce déploiement maintenant?

Les tensions ont éclaté après plusieurs opérations menées par l’ICE dans les quartiers de Compton, Boyle Heights et Paramount, contre des migrants. Des manifestations ont rapidement gagné les autoroutes, avec des affrontements dans le centre-ville. La police de Los Angeles (LAPD), débordée, a dû faire face à des jets de projectiles, des incendies et des blocages.

En réponse, le président Trump a décidé de mobiliser jusqu’à 2.000 soldats de la Garde nationale sous le Titre 10: 300 ont déjà été déployés et 500 Marines sont en alerte. Une décision prise sans que le gouverneur Gavin Newsom en ait fait la demande.

Un précédent historique

Ce n’est pas la première fois que Donald Trump fait appel à la Garde nationale. En 2020, en pleine vague de protestations dans tout le pays après la mort de George Floyd, un Afro-Américain tué par un policier lors de son arrestation à Minneapolis, il avait exhorté les gouverneurs à envoyer des troupes à Washington, DC. Certains avaient obtempéré, d’autres avaient refusé, invoquant la souveraineté de leur État.

Mais la décision de Trump, cette fois, marque un tournant: c’est la première fédéralisation d’une Garde nationale d’État contre l’avis d’un gouverneur depuis 1965, lorsque Lyndon B. Johnson avait envoyé des troupes à Selma, en Alabama, pour protéger les marcheurs des droits civiques.

L’opposition locale monte au créneau

Le gouverneur Gavin Newsom a considéré la décision du président américain comme un «abus de pouvoir inconstitutionnel». Sur X (anciennement Twitter), il a accusé Trump de «fabriquer une crise» pour militariser Los Angeles et contourner les institutions locales. Il a insisté sur le fait que la situation était maîtrisée par les forces locales et appelé Washington à se retirer.

La maire de Los Angeles, Karen Bass, a dénoncé pour sa part une «provocation qui n’est pas une solution», appelant au dialogue plutôt qu’à une démonstration de force.
Trump, sur X, leur a répondu sèchement: «S’ils ne peuvent pas faire leur travail – ce que tout le monde sait – alors le gouvernement fédéral interviendra et réglera le problème comme il se doit».

Des juristes tirent la sonnette d’alarme

Pour Steve Vladeck, professeur de droit à Georgetown et spécialiste du droit militaire, l’absence d’invocation de l’Insurrection Act limite strictement le rôle de la Garde. Selon le mémorandum présidentiel, les troupes sont là uniquement pour «garantir la protection du personnel et des biens fédéraux». Elles ne peuvent donc pas interpeller ou détenir de simples manifestants.

«Ces troupes n’ont pas plus de pouvoirs que les agents de l’ICE eux-mêmes», souligne Vladeck. «Mais contrairement à eux, elles sont soumises à des restrictions légales plus strictes, en vertu du Posse Comitatus Act». Il prévient: ce flou juridique «risque d’alimenter les tensions au lieu de les apaiser».

Ce que la Garde peut – et ne peut pas – faire

À ce jour, les unités sont cantonnées autour des bâtiments fédéraux, des nœuds de transport et des centres ICE. Leurs missions sont strictement défensives et logistiques. Sans activation de l’Insurrection Act, elles ne peuvent ni patrouiller dans les rues, ni procéder à des arrestations, ni intervenir dans les manifestations.

Pour l’instant, Los Angeles reste le symbole fort de ces tensions où mobilisation militaire, contestation civile et affrontement politique se croisent. La question ne porte plus seulement sur qui occupe l’espace public, mais sur qui détient le pouvoir de décider ce déploiement.

 

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