
Figure clé de la Syrie d’après-Assad, Ahmad el-Chareh, ancien membre influent de Hayat Tahrir al-Cham (HTS) s'est rapidement imposé comme un acteur politique pragmatique. Depuis qu’il a pris le pouvoir, en décembre 2024, dans ce pays laminé par 13 ans de guerre, il a concentré son action sur deux axes principaux, à travers lesquels il a notamment voulu renvoyer à l’étranger l’image d’un dirigeant réformateur, digne de confiance.
Il s’est tout de suite efforcé de rassurer la mosaïque communautaire syrienne, en se présentant comme un dirigeant rassembleur.
Il s’est parallèlement concentré sur la réhabilitation politique de HTS, en prenant ses distances par rapport aux organismes islamistes paramilitaires qui s’y greffaient. Sa politique à ce niveau était centrée sur la lutte contre le groupe État islamique (EI). Ahmad el-Chareh a dénoncé les méthodes brutales et l'expansionnisme de ce groupe dont il cherche à se débarrasser.
Cependant, une question centrale se pose: dispose-t-il réellement des moyens politiques, militaires et territoriaux nécessaires pour mener à bien sa politique anti-EI?
Depuis son accession au pouvoir, Ahmad el-Chareh insiste sur la nécessité de lutter contre ce groupe, notamment dans les régions périphériques de la Syrie. Il met en avant les efforts de son gouvernement pour renforcer la sécurité intérieure et barrer la voie devant une montée de l'extrémisme islamiste.
Ayant déjà combattu le groupe à Idlib en tant que chef du HTS, il cherche maintenant à étendre ce succès à l'échelle nationale, une tâche complexe en raison d’un terrain désertique favorable à l'EI.
Depuis janvier 2025, le gouvernement syrien a intensifié ses actions contre l'organisation, déjouant des attentats et attaquant des cellules dormantes, comme celle d'Alep, en mai. M. Chareh bénéficie à ce niveau d’un soutien international et de celui d’une partie de la population qui ne voit pas en lui l’autre face de l’EI. Ses efforts ont renforcé sa légitimité à l’échelle internationale et facilité une normalisation des relations de Damas avec d'autres pays.
Des moyens économiques, militaires et institutionnels limités
Ils restent cependant limités à cause d’un manque criant de ressources économiques, militaires et institutionnelles. Les événements tragiques de Lattaquié en mars 2025 illustrent bien ces difficultés: des unités de l’armée syrienne ont perpétré des massacres contre des alaouites, faisant 1.557 tués parmi les civils, sans que le gouvernement puisse intervenir.
Selon Thomas Pierret, chargé de recherches à l’Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans (IREMAM), spécialiste de la Syrie et du Moyen-Orient, ces atrocités, surtout si elles se répètent, risquent d’entraîner de nouvelles sanctions internationales contre Chareh, qui se présente pourtant comme le défenseur des minorités.
Bien que le dirigeant syrien ait rapidement ordonné des enquêtes, aucune information sur l’avancement de celles-ci n’a été communiquée, révélant un déficit d’autorité et un contrôle fragile sur ses forces. Deux éléments qui compromettent sérieusement la lutte contre l’organisation.
L’intégration des différentes factions militaires dans l’armée syrienne demeure un enjeu majeur pour Chareh depuis son arrivée au pouvoir. Les allégeances et idéologies divergentes de ces groupes compliquent une unification des forces régulières.
Si le ministère syrien de la Défense affirme avoir réussi cette intégration, Thomas Pierret la considère comme «relativement virtuelle»: beaucoup d’unités restent financièrement dépendantes de la Turquie et suivent ses directives.
Des tensions historiques avec HTS et la suspicion quant à la loyauté de certaines factions, illustrée par l’arrestation de membres de l’EI dans l’armée, renforcent ce constat. Cette intégration paraît ainsi plus politique qu’opérationnelle.
Le financement de cette armée est un autre défi, vu les besoins importants pour restaurer le matériel militaire hérité du régime Assad et assurer salaires et équipements. Enfin, les cellules dormantes du groupe EI, surtout dans les zones désertiques, intensifient leurs attaques, tandis que les services de renseignement syriens, manquant de moyens, peinent à les neutraliser.
Des opportunités à exploiter
Malgré des ressources limitées, la politique de Chareh offre plusieurs opportunités. La Syrie bénéficie d'un soutien régional significatif, à l'exception d'Israël. Thomas Pierret souligne, dans ce contexte, que plusieurs pays, y compris l'Irak, ont intérêt à maintenir la stabilité en Syrie et sont prêts à collaborer contre le terrorisme. «La Turquie – pour des intérêts économiques – et les pays du Golfe cherchent à éviter une domination iranienne, favorisant cette stabilité», ajoute-il, expliquant que ces collaborations se traduisent principalement par des échanges de renseignements avec la Turquie concernant certaines cellules du groupe dans le nord de la Syrie.
Sur le plan international, Chareh bénéficie d'un soutien croissant. Bien que certains pays occidentaux considèrent toujours le HTS comme une organisation terroriste, une partie de la communauté internationale commence à reconnaître le nouveau régime.
Chareh a été invité dans divers pays, dont la France où il a rencontré le président Emmanuel Macron qui lui a réitéré son soutien aux efforts qu’il mène contre l’EI. En janvier, les États-Unis ont aidé les services de renseignement syriens à déjouer une offensive de ce groupe.
La levée de sanctions imposées à Damas sous le régime de Bachar al-Assad favorisera incontestablement le redressement économique du pays, ainsi que la lutte contre l’EI, maintenant que la Syrie «entretient de bonnes relations» avec plusieurs pays, selon Thomas Pierret.
Malgré des ressources limitées, la détermination de Chareh et un soutien partiel pourraient aider à stabiliser la Syrie après des années de guerre civile.
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