Fordo, le ventre de la bête nucléaire iranienne
Cette image satellite fournie par Maxar Technologies et prise le 12 février 2025 montre une vue d'ensemble de l'installation d'enrichissement d'uranium de Fordo, au sud de la capitale, Téhéran. ©Image satellite / Maxar Technologies / AFP

Au cœur des montagnes iraniennes, près de la ville sainte de Qom, se cache l’une des installations nucléaires les plus protégées au monde: le site d’enrichissement d’uranium de Fordo, point névralgique du programme nucléaire iranien.

Protégé par la montagne

Enfoui à près de 90 mètres sous la roche, ce complexe souterrain est devenu le symbole de l’opiniâtreté nucléaire de Téhéran et un défi quasi insurmontable pour ses adversaires, en particulier Israël.

Découvert en 2009 par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), le site est situé à environ 30 km au nord-est de Qom, sur un ancien terrain de la Garde révolutionnaire iranienne. Il comprend deux halles souterraines, chacune conçue pour accueillir huit cascades de centrifugeuses IR-1, soit environ 3.000 centrifugeuses au total.

Protégé par plus de 80 mètres de roche, des portes blindées et un système de défense antiaérienne de type S-300, Fordo est pensé pour résister à toute frappe aérienne conventionnelle.

Histoire et contexte

Le projet Fordo remonte au début des années 2000, dans le cadre du programme nucléaire militaire iranien secret, connu sous le nom de code «Al-Ghadir».

Des documents saisis en 2018 par le Mossad indiquent que sa construction aurait débuté entre 2002 et 2007, avec pour objectif initial de produire de l’uranium enrichi à 90%, de quoi fabriquer une à deux armes nucléaires par an.

Le site est resté clandestin jusqu’à sa révélation en septembre 2009, sous pression internationale. L’Iran a alors affirmé qu’il s’agissait d’un projet civil destiné à produire de l’uranium faiblement enrichi pour des usages médicaux et énergétiques. Mais vu la profondeur du site et son niveau de protection, les soupçons sur sa finalité militaire ont rapidement resurgi.

Depuis, Fordo est régulièrement présenté comme le cœur névralgique du programme nucléaire iranien. Téhéran y a déployé des batteries S-300, preuve supplémentaire de la valeur stratégique qu’il lui accorde.

Rôle stratégique dans le programme nucléaire iranien

Deuxième plus grande usine d’enrichissement du pays après Natanz, Fordo a joué un rôle clé dans la montée en puissance du programme nucléaire iranien.

Initialement, le site produisait de l’uranium enrichi à 5% pour des usages civils. À partir de 2011, l’Iran y a lancé la production d’uranium enrichi à 20%, officiellement pour répondre à la demande en isotopes médicaux, mais surtout pour tester les lignes rouges de la communauté internationale.

L’accord nucléaire de 2015 (JCPOA) a gelé cette dynamique. Téhéran s’est engagé à suspendre toute activité d’enrichissement à Fordo pendant 15 ans, transformant le site en centre de recherche sur les isotopes stables. Seules 1.044 centrifugeuses IR-1 y ont été maintenues, à usage strictement non nucléaire, sous supervision de l’AIEA.

Mais, selon le Hudson Institute, l'Iran a recommencé à enrichir de l'uranium à 20% en janvier 2021. Le président américain élu à l’époque, Joe Biden, avait clairement indiqué qu'il abandonnerait la politique de pression maximale de l'administration Trump et qu'il chercherait à revenir rapidement au cadre du JCPOA.

Toujours selon le Hudson Institute, Téhéran a encore relevé son taux d'enrichissement jusqu'à 60%, alors que l'administration Biden tentait continuellement de ménager l’Iran. Durant cette période, ses proxys ont attaqué les troupes américaines en Syrie. La Force Al-Qods aurait également mené des complots visant à tuer d'anciens responsables américains, dont l'ancien conseiller à la Sécurité nationale John Bolton et l'ancien secrétaire d'État Mike Pompeo.

En novembre 2024, Rafael Grossi, directeur de l’AIEA, s’est rendu sur place alors que Fordo hébergeait de nouvelles cascades de centrifugeuses avancées. À ce stade, Fordo est devenu un nœud critique: un site capable, en cas de rupture totale avec l’AIEA, de basculer rapidement vers une production de matière fissile de qualité militaire.

Comment neutraliser Fordo?

Tenter de neutraliser Fordo par la force relèverait du casse-tête militaire. Son enfouissement profond et sa structure renforcée nécessiteraient l’emploi de munitions anti-bunker de très haut calibre.

La GBU-28, développée pendant la guerre du Golfe, en est l’un des modèles les plus connus. Cette bombe guidée au laser, pesant environ 2.300 kg, peut percer plusieurs mètres de béton. Mais sa puissance reste insuffisante contre les galeries enfouies de Fordo, protégées par plus de 80 mètres de roche.

C’est le GBU-57A/B Massive Ordnance Penetrator (MOP) qui est aujourd’hui l’arme la plus adaptée à ce type de cible. Cette bombe de 13.600 kg et de 6 mètres de long peut pénétrer environ 60 mètres de béton armé ou de roche compacte avant d’exploser. Sa coque d’acier est conçue pour traverser les couches les plus denses avant de libérer ses 2.400 kg d’explosif.

Cependant, utiliser un MOP n’est pas simple. Cela nécessite un bombardier stratégique de type B-2 Spirit, l’un des rares appareils capables de transporter une telle bombe.

En outre, une frappe unique ne suffirait probablement pas à désactiver l’ensemble du site. Il faudrait frapper à plusieurs reprises un même point, ou combiner plusieurs attaques coordonnées, pour espérer effondrer les tunnels souterrains.

Limitations et risques d'une frappe

Fordo étant littéralement protégé par la montagne, son toit de roche et de béton armé absorberait une grande partie de l’énergie dégagée par les bombes conventionnelles.

Selon le Bulletin of the Atomic Scientists, seules les MOP pourraient atteindre la profondeur nécessaire. Or Israël ne dispose ni de ces bombes ni des bombardiers capables de les déployer.

En l’absence d’un soutien direct des États-Unis, une opération israélienne devrait s’appuyer sur une stratégie d’usure: frapper en rafale un même point, ou envisager des incursions de commandos capables de poser des charges à l’intérieur même des tunnels, une option risquée et complexe.

Au-delà de la faisabilité technique, une attaque contre Fordo impliquerait une montée en flèche des tensions. Il faudrait d’abord neutraliser les défenses aériennes iraniennes, puis frapper simultanément plusieurs sites nucléaires pour saturer la riposte.

Fordo incarne ainsi la stratégie de dissuasion de la République islamique. Dans les conditions actuelles, seule une intervention directe des États-Unis pourrait neutraliser ce site, à condition d’en assumer le coût stratégique.

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