Niki et Tinguely, l’art en liberté et en éclats
La commissaire française Sophie Duplaix pose à côté de Black Rosy (My Heart belongs to Rosy) (1965) de Niki de Saint Phalle, exposée lors de Niki de Saint Phalle, Jean Tinguely, Pontus Hulten, coproduite par le Centre Pompidou et le Grand Palais, ouverte au public à partir du 26 juin 2025 au Grand Palais à Paris, le 18 juin 2025. ©Emma DA SILVA / AFP

Le Grand Palais rouvre ses portes avec une exposition inédite sur le couple mythique formé par Niki de Saint Phalle et Jean Tinguely. Plus de 200 œuvres célèbrent leur rébellion artistique joyeuse, radicale et profondément engagée.

Des célèbres Nanas et Tirs à la carabine qui font «saigner» la peinture de Niki de Saint Phalle (1930-2002) aux machines «inutiles» de Jean Tinguely (1925-1991), une grande exposition revisite, à partir du jeudi 26 juin à Paris, la joyeuse radicalité de ce couple d'artistes.
Initialement prévue vendredi, l'ouverture a été reportée «afin de permettre de terminer des opérations de maintenance dans les galeries d'exposition», ont indiqué les organisateurs jeudi.
Quelque 200 œuvres – sculptures, machines automates, installations, tableaux – de la Franco-Américaine et du Suisse ainsi que nombre de photographies, films d’archives rares et lettres-dessins, sont présentés sur 2 000 m² de galeries rénovées du Grand Palais.
L’exposition inaugure la collaboration entre l’édifice à la grande verrière, récemment rénové, et le Centre Pompidou qui doit fermer pour cinq ans de travaux à partir du 22 septembre.
Elle met en lumière les moments clés de la carrière des deux artistes, leurs liens indéfectibles et leur vision de l’art comme acte de rébellion contre les normes, à travers le prisme de Pontus Hulten (1924-2006), leur ami.
Ce tout premier directeur du grand musée national d’art moderne du Centre Pompidou a porté une approche muséale radicale et novatrice.
Il favorisera l’acquisition de leurs œuvres par les institutions et organisera leurs premières rétrospectives en 1980 et 1988, partageant fondamentalement leur part d’utopie et de rêve.

Carabine

Parmi les pépites exposées, l’une des premières Nanas noire de Niki de Saint Phalle, Black Rosy (1965), est «très emblématique de l’ouverture de l’artiste aux problématiques sociétales comme la place de la femme dans la société ou celle des personnes racisées», explique à l’AFP Sophie Duplaix, conservatrice en chef des collections contemporaines au musée d’art moderne du Centre Pompidou et commissaire de l’exposition.
À ses côtés, trois autres personnages sculptés attirent immanquablement le regard: un couple difforme et endimanché, promenant en laisse une immense araignée, «symbole de la mère, avec laquelle l’artiste entretenait des relations difficiles», souligne la commissaire.
Insolites aussi ses tableaux des Tirs, retracés dans un film montrant l’artiste à l’œuvre et dont plusieurs sont exposés.
«Alors que, jusque-là, elle réalise des œuvres dans la veine de l’art brut et des reliefs, elle débute en 1961 une nouvelle série décapante : elle fixe des poches de couleurs et des œufs, voire des tomates sur des panneaux qu’elle recouvre de plâtre blanc immaculé. Elle les place ensuite à la verticale et tire dessus à la carabine jusqu’à ce que les poches de couleurs explosent, générant des coulées de peinture», explique Mme Duplaix.
«Critique très acerbe de la peinture de chevalet, c’est aussi une manière d’exprimer la puissance féminine puisque la carabine est associée à la masculinité et qu’elle s’en empare pour faire un art très novateur», ajoute-t-elle.

«Défis»

«Techniquement, Tinguely a toujours été aux côtés de Niki de Saint Phalle mais ils se lançaient sans cesse des défis», poursuit Mme Duplaix.
«Lorsqu’ils se rencontrent en 1956 et se mettent en couple en 1960, ils s’installent et travaillent impasse Ronsin (dans le sud de Paris), où (le sculpteur) Brancusi a un atelier. Vers le milieu des années 1960, ils déménageront dans une ancienne auberge de l’Essonne, qui sera leur atelier pendant des années» avant leur séparation, raconte-t-elle.
Jean Tinguely est mort en 1991. Ses obsèques à Fribourg, sa ville natale, auxquelles assistent 10 000 personnes, selon la commissaire, sont retracées dans un film tel «une œuvre en soi avec fanfare, clique de carnaval, machine automate».
Après sa mort, Niki de Saint Phalle lui rendra hommage par une série de tableaux éclatés, présentés dans l’exposition: des éléments peints aux couleurs vives s’assemblant et se séparant grâce à un mécanisme intégré.
Parmi les œuvres exposées les plus spectaculaires de Jean Tinguely, l’Enfer (1984) met en mouvement à intervalles réguliers quantité d’objets – sculptures sonores et mobiles, objets manufacturés et de récupération – sur une immense plateforme, critique féroce de la mécanisation et du progrès technologique de la société industrielle des Trente Glorieuses comme nombre de ses œuvres.
Après sa mort, aidée par Pontus Hulten, Niki de Saint Phalle parachèvera Le Cyclop, monstre de métal visitable et œuvre de toute sa vie.

Par Sandra BIFFOT-LACUT / AFP

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