
Le Parlement iranien a approuvé, mercredi 25 juin, une motion visant à suspendre la coopération avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).
Une majorité de 221 députés ont voté en faveur du texte. Un seul parlementaire s'est abstenu, tandis qu'aucun autre n'a voté contre, selon la télévision d'État iranienne.
Ce geste fort intervient, rappelle-t-on, dans un contexte de tensions croissantes entre Téhéran et les puissances occidentales. Il fait suite notamment à une résolution de l’AIEA, début juin, dénonçant le manque de coopération iranienne sur le dossier du nucléaire.
«L'AIEA, qui a refusé de condamner ne serait-ce qu'un peu l'attaque contre les installations nucléaires iraniennes, a compromis sa crédibilité au niveau international», a déclaré le président du Parlement, Mohammad Bagher Ghalibaf, cité par la télévision d'État, après le vote. Il a ainsi affirmé que «l'Organisation iranienne de l'énergie atomique suspendra sa coopération avec l'AIEA tant que la sécurité des installations nucléaires ne sera pas garantie».
Mais que signifie réellement cette décision dans le système politique iranien? Est-elle immédiatement applicable? Quelles en sont les conséquences?
Le guide suprême, incontournable
D’abord, il faut rappeler qu’une motion parlementaire n’est pas toujours contraignante. Elle exprime avant tout une position politique destinée à influencer le gouvernement et à envoyer un message fort à la communauté internationale.
En Iran, le Parlement (Majlis) peut voter des lois et contrôler le gouvernement, mais une motion n’a pas la force d’une loi exécutoire.
Le système politique iranien repose sur une structure ramifiée au sein de laquelle le pouvoir religieux, incarné par le guide suprême, Ali Khamenei, domine les institutions républicaines. Dans ce système, une motion parlementaire doit être validée par le Conseil des gardiens, qui vérifie sa conformité à la Constitution et à la loi islamique, puis examinée par le Conseil suprême de sécurité nationale, qui supervise la politique nucléaire et de défense.
La décision finale revient cependant au guide suprême: sans son accord, aucune mesure stratégique ne peut être mise en œuvre. Si toutes ces étapes sont franchies, le gouvernement pourra alors réduire ou rompre la coopération avec l’AIEA.
Une coopération ancienne mais tendue
L’Iran coopère avec l’AIEA depuis les années 1950, bien avant la révolution islamique de 1979, lorsque le pays a lancé son programme nucléaire civil avec un appui occidental. Cependant, cette coopération s’est complexifiée à partir des années 2000, après des révélations sur des activités nucléaires iraniennes clandestines.
En 2003, un protocole additionnel au Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) a été signé, permettant à l’AIEA d’effectuer des inspections renforcées sur le sol iranien.
En 2015, l’Iran a aussi conclu le Plan d’action global conjoint (PAGC), plus connu sous le nom d’accord sur le nucléaire iranien, visant à encadrer le programme nucléaire iranien, intégrant des engagements supplémentaires en matière de transparence, toujours sous la supervision de l’AIEA.
Lorsque Donald Trump s’est retiré unilatéralement de l’accord en 2018, l’Iran a progressivement réduit son respect des engagements du PAGC, tout en restant membre du TNP.
La suspension, juridiquement possible?
Depuis 1970, l’Iran est membre du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), qui lui interdit de développer une bombe atomique tout en lui garantissant le droit à un usage civil de l’énergie atomique.
En vertu de l’article 3 du traité, l’Iran a signé un accord de garanties avec l’AIEA, qui autorise cette dernière à inspecter ses installations nucléaires et à vérifier la nature exclusivement pacifique de ses activités. L’AIEA joue donc un rôle essentiel de surveillance, mandaté par la légalité internationale et renforcé à partir de 2003 par l’application volontaire, mais non ratifiée, du protocole additionnel, offrant un accès plus poussé à certaines installations.
Sur le plan technique, l’Iran peut limiter sa coopération avec cet organisme: refuser certaines inspections, désactiver les caméras de l’AIEA, bloquer l’accès à certains sites ou ne plus transmettre ses données nucléaires.
Il l’a déjà fait à plusieurs reprises, notamment en 2006, 2010, 2021 et 2023. Cela ne viole pas nécessairement le TNP, tant que les garanties de base restent formellement en place.
Le pays peut juridiquement réduire cette coopération, mais il ne peut pas la rompre complètement sans quitter le TNP. Or, l’article X du traité permet à un État de s’en retirer après un préavis de trois mois, en invoquant des événements qui menaceraient ses intérêts suprêmes. Mais la situation n’est pas encore arrivée à ce stade, comme ce fut le cas avec la Corée du Nord, qui s’est retirée du TNP en 2003.
Les conséquences d’une suspension effective
Si la suspension de la coopération avec l’AIEA était appliquée, Téhéran pourrait expulser les inspecteurs, interrompre la transmission des rapports techniques et désactiver les équipements de surveillance internationale. Ce serait cependant une rupture grave avec les normes internationales, aux conséquences lourdes pour la stabilité régionale et la sécurité mondiale.
Diplomatiquement, cela isolerait encore plus l’Iran et pourrait entraîner un durcissement des sanctions économiques. Sur le plan sécuritaire, cette décision renforcerait les inquiétudes sur la prolifération nucléaire au Moyen-Orient et pourrait provoquer des réactions militaires de la part des États-Unis, d’Israël et des pays du Golfe. Enfin, cela fragiliserait les négociations en cours et rendrait toute coopération future plus difficile.
Le poids limité mais crucial de l’AIEA
L’AIEA joue un rôle central dans la surveillance du nucléaire civil mondial grâce à ses inspections et ses rapports. Cependant, son influence est contrainte par les enjeux géopolitiques, notamment par le rôle dominant des États-Unis, qui utilisent l’agence comme un levier diplomatique. Israël, non membre de l’AIEA, exerce aussi une forte pression régionale en coordination avec Washington.
En réalité, ce sont les États souverains, notamment via le Conseil de sécurité de l’ONU, où siègent les cinq membres permanents dotés d’un droit de veto (États-Unis, Russie, Chine, Royaume-Uni, France), qui décident d’appliquer ou non les résolutions et les sanctions.
Et pourtant… les négociations se poursuivent
Malgré la tension persistante, des discussions entre les États-Unis et l’Iran, lancées il y a quelque temps, sont toujours à l’ordre du jour. Elles reprendront la semaine prochaine, a annoncé mercredi le président américain, Donald Trump, en marge du sommet de l’Otan, aux Pays-Bas. Son émissaire, Steve Witkoff, avait déclaré dans une interview à Fox News que les deux parties ont commencé des discussions, à la fois directes et via des intermédiaires, pour relancer les négociations sur le programme nucléaire iranien. Il a qualifié ces échanges de «prometteurs», réaffirmant que «les États-Unis exigent que l’Iran ne reprenne en aucun cas l’enrichissement d’uranium».
Selon Donald Trump, les frappes américaines contre les sites de Fordo, Natanz et Ispahan, le 20 juin, ont «complètement paralysé les capacités nucléaires de l’Iran», lesquelles ont été retardées de plusieurs «décennies».
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