Une enquête du Washington Post et de PBS Frontline lève le voile sur une campagne d’assassinats ciblés menée par Israël en juin 2025. Baptisée «Opération Narnia», elle visait non pas seulement des sites, mais les hommes-clés du programme nucléaire iranien, dans un contexte régional et diplomatique explosif.
À 3 h 21 du matin, le 13 juin 2025, alors que va débuter une guerre qui durera douze jours entre Israël et l’Iran, des frappes israéliennes touchent des immeubles résidentiels à Téhéran. Contrairement aux opérations militaires classiques visant des infrastructures, ces missiles ciblent des appartements précis. Leur objectif : éliminer les scientifiques considérés comme les «cerveaux» du programme nucléaire iranien.
Cette campagne porte un nom : Opération Narnia. Selon Israël, onze scientifiques nucléaires de haut niveau sont tués en quelques jours, dont Mohammad Mehdi Tehranchi, physicien théoricien et expert en explosifs, et Fereydoun Abbasi, ancien chef de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique. Tous deux étaient sous sanctions américaines et internationales pour leur rôle présumé dans des travaux liés à l’arme nucléaire.
Pourquoi viser les scientifiques, et non seulement les sites?
Les services de renseignement israéliens estiment depuis longtemps qu’une simple destruction d’installations – Natanz, Fordow ou Ispahan – ne suffit pas à neutraliser durablement le programme iranien. Les centrifugeuses peuvent être reconstruites. Le savoir-faire, lui, est plus difficile à remplacer.
Dans cette logique, les analystes israéliens dressent une liste d’une centaine de scientifiques jugés essentiels. Après des mois, voire des années de surveillance, une douzaine est retenue comme cibles prioritaires. Des dossiers détaillés sont constitués : travaux scientifiques, déplacements, habitudes familiales, adresses précises.
Israël n’en est pas à sa première opération de ce type. Mais jusqu’ici, les assassinats restaient couverts par le déni: bombes magnétiques collées à des voitures, armes télécommandées, opérations attribuées à des «accidents». En juin 2025, l’État hébreu agit à visage découvert, dans un contexte de rapport de force régional profondément modifié.
Un contexte régional jugé favorable par Israël
Selon des responsables israéliens interrogés par le Washington Post, plusieurs événements ont ouvert une «fenêtre d’opportunité». Le Hezbollah, principal proxy de l’Iran, a été lourdement affaibli par des frappes israéliennes en 2024, culminant avec la mort de son chef Hassan Nasrallah. En Syrie, le régime de Bachar el-Assad, allié de Téhéran, s’est effondré fin 2024, laissant un vide sécuritaire exploité par Israël.
Par ailleurs, les capacités de défense aérienne iraniennes ont été en partie neutralisées lors d’échanges de frappes en 2024, notamment avec la destruction de systèmes russes S-300. Enfin, à la veille de l’offensive, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) déclare l’Iran en violation de ses obligations de non-prolifération, une première en vingt ans.
Une coordination tacite avec Washington
L’opération s’inscrit aussi dans un jeu diplomatique complexe avec les États-Unis. Si Donald Trump, revenu à la Maison-Blanche, affiche publiquement une préférence pour la négociation, il maintient une coopération étroite avec Israël. Selon l’enquête, la diplomatie aurait servi de paravent: annonces de pourparlers imminents, fuites sur de prétendues divergences entre Washington et Tel-Aviv, tout en poursuivant la planification militaire.
Après le lancement des frappes, une ultime offre américaine est transmise à Téhéran, prévoyant la levée totale des sanctions en échange d’un démantèlement radical du programme nucléaire et de l’abandon du soutien aux groupes armés régionaux. L’Iran rejette la proposition. Peu après, les États-Unis autorisent des frappes directes aux côtés d’Israël.
Un coût humain et des résultats discutés
L’enquête du Washington Post et de Bellingcat documente un lourd tribut civil. Au moins 71 civils auraient été tués lors de frappes visant des scientifiques, dont des femmes et des enfants. Israël affirme avoir tout fait pour limiter les dommages collatéraux, tandis que l’Iran avance un bilan invraisemblable dépassant le millier de morts sur l’ensemble de la campagne.
Sur le plan stratégique, les évaluations convergent: le programme nucléaire iranien a été retardé de plusieurs années, mais pas détruit. L’Iran conserve des stocks importants d’uranium enrichi, et surtout, comme le résume un proche d’un scientifique tué: «On peut tuer des hommes, pas effacer une connaissance.»
L’«Opération Narnia» illustre ainsi les limites d’une guerre de l’ombre: spectaculaire, déstabilisante, mais incapable, à elle seule, de faire disparaître une ambition nucléaire profondément enracinée.




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