Le ministère des Finances est encore à l’ère du papier
©Ministère des Finances

Le ministre des Finances, Yassine Jaber, a annoncé l’allocation de six millions de dollars issus du Lebanon Financing Facility (LFF) pour renforcer les infrastructures fiscales et foncières du pays, ainsi que pour accompagner la réforme et la transformation numérique du ministère.

Créé en décembre 2020 sous l’égide de la Banque mondiale après l’explosion du port de Beyrouth, le LFF est un fonds fiduciaire multibailleurs qui regroupe les contributions de plusieurs donateurs (UE, Canada, France, Allemagne, Danemark, Norvège…) afin de soutenir la reconstruction, les réformes et la relance socio-économique du Liban.

Pourtant, sans une remise à plat du système administratif, marqué par le chaos, l’absence d’interconnexion des services, des contrôles internes faibles et une opacité persistante, cette aide risque de rester inefficace.

Impossible d’établir un compte de clôture fiable

En 2024, on estime à près de deux millions le nombre de transactions fiscales non saisies. Et au 1er trimestre 2025, 430.000 opérations supplémentaires restent en attente de traitement. Pire encore, nombre de ces données sont incomplètes ou erronées, et donc difficilement numérisables.

Résultat: l’élaboration d’un compte de clôture annuel – un document censé refléter avec exactitude les recettes et dépenses de l’État – est devenue quasiment irréalisable. La comptabilité publique repose aujourd’hui sur des estimations floues, loin des normes de rigueur budgétaire.

D’ailleurs, l’agence de notation Fitch Ratings, qui attribue notamment des notes de crédit aux États pour évaluer leur santé financière, a annoncé en juillet 2024 qu’elle renonçait à noter le Liban. Elle a justifié cette décision par l’absence de données fiscales fiables et l’interruption, depuis 2021, de la publication des comptes nationaux par le ministère libanais des Finances. Cependant, d’autres agences telles que Standard & Poor’s et Moody’s ont continué à fournir des opinions sur le Liban.  

Traitement de douze types d’imposition hors ligne

Bien que le ministère des Finances dispose d’un système centralisé censé relier l’ensemble des opérations fiscales, douze types d’impositions ne sont toujours pas intégrés à la plateforme électronique. Leur traitement se fait donc manuellement, en dehors de tout circuit numérique. En outre, des perturbations techniques régulières — coupures d’électricité, pannes informatiques, pénurie de fournitures — obligent les sociétés de recouvrement à traiter certains paiements « hors ligne ». Dans ces cas, les reçus sont transmis manuellement au ministère, sans aucune connexion électronique directe, ce qui nuit à la transparence, complique le suivi des transactions et fragilise l’ensemble du système de recouvrement.

Des systèmes publics déconnectés

Le système de TVA, pourtant très performant en matière de recettes, est géré hors du ministère par une équipe du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Il n’est donc pas soumis à un contrôle technique direct. Cette situation vaut également pour les douanes – pourtant source majeure de revenus – et les services fonciers, eux aussi minés par des failles dans le recouvrement.

Autre anomalie: des revenus non identifiés circulent dans les comptes du ministère, alimentant la suspicion sur la qualité des données et la fiabilité de leur gestion.

Une réforme structurelle urgente

Faute de transparence, de coordination entre les systèmes et de contrôle efficace, le ministère des Finances demeure incapable de produire des comptes publics fiables. Le besoin d’une réforme profonde n’a jamais été aussi pressant: interconnexion des services, renforcement du contrôle interne et transparence doivent devenir les piliers d’une nouvelle gouvernance.

 

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