L’ombre persistante de l’État islamique au Liban
©Ici Beyrouth

L’armée libanaise a annoncé mardi l’arrestation d’un certain R.F., alias «Qassoura», présenté comme le chef de l’État islamique (EI) au Liban. Cette opération, menée par la Direction du renseignement, a permis la saisie d’un arsenal considérable: armes, munitions, équipements électroniques et matériel destiné à la fabrication de drones, a indiqué un communiqué de l’armée.

Qassoura aurait accédé à la tête de l’EI après l’arrestation de son prédécesseur, Abou Saïd el-Chami, en décembre 2024, et aurait planifié plusieurs attaques à travers le pays, selon le texte.

https://x.com/LebarmyOfficial/status/1937578926739472720 

Cette arrestation survient deux jours après un attentat suicide au sein de l’église Saint-Elie, en Syrie voisine, qui a fait 25 morts et rappelé que l’EI, bien qu’affaibli, reste un spectre qui hante certains pays du Proche-Orient.

De Nahr el-Bared à l'émergence de l'EI

L’islamisme armé n’est pas nouveau au Liban: ses racines remontent aux années 1980 avec la création du Hezbollah, bras armé de l’Iran au pays du Cèdre. Cette milice est responsable de l’attentat d’avril 1983 contre l’ambassade américaine à Beyrouth, qui a fait 63 morts, dont des cadres de la CIA, ainsi que des attentats contre les Marines et les paras français en octobre de la même année qui ont fait respectivement 241 et 58 morts. 

Cependant, la montée d’un jihadisme sunnite armé émerge progressivement dans les années 1990‑2000, avant de se structurer dans un contexte régional plus instable. On pense surtout à des mouvements comme Osbat al-Ansar et Osbat al-Nour, entre autres.

La bataille de Nahr el-Bared, en 2007, marque un tournant décisif. Ce camp de réfugiés palestiniens près de Tripoli a été le théâtre d'affrontements entre l'armée libanaise et le groupe Fateh el-Islam, fondé en 2006 et proche d’al-Qaïda.

Le siège a duré près de quatre mois (de mai à septembre 2007), causant des centaines de morts (dont 168 militaires et 226 combattants islamistes), la destruction quasi totale du camp et la fuite d'une vingtaine de combattants islamistes.

Ce conflit, alors le plus grave depuis la guerre civile libanaise, illustrait déjà la capacité des groupes jihadistes à s'implanter dans les zones vulnérables. Bien que militairement vaincu en 2017, l'EI a maintenu une présence résiduelle, profitant des crises régionales et des faiblesses sécuritaires.

De la Békaa aux camps palestiniens

L'EI a utilisé les zones frontalières du Liban avec la Syrie, notamment autour d'Arsal et de Ras Baalbeck, comme base arrière depuis 2014, dans le sillage du conflit syrien.

Ainsi, des affrontements violents ont eu lieu à Arsal en août 2014, opposant l’armée libanaise à des centaines de jihadistes de l’EI et du Front al-Nosra, et faisant plusieurs dizaines de morts.

D'après l’Institut d’études de sécurité nationale israélien (INSS), les combattants de l’EI et de groupes affiliés tels que les Brigades Abdallah Azzam, Jund el-Cham ou Asbat el-Ansar opéraient dans les zones vulnérables du Nord (notamment Tripoli et le Akkar) et du Sud (Aïn el-Heloué), souvent en coordination avec des factions extrémistes palestiniennes.

Une marginalisation instrumentalisée?

La Carnegie Endowment, un think tank américain, souligne que l’EI a cherché à se présenter comme défenseur des sunnites face à l’armée libanaise et au Hezbollah, notamment à travers des prêches et des discours diffusés après la bataille d’Arsal.

De plus, le Washington Institute souligne que le soutien sunnite à l’EI au Liban ne viendrait pas d’un attachement idéologique, mais d’un sentiment d’abandon, de recherche de protection et de vide laissé par l’État.

Cette instrumentalisation de la marginalisation sunnite est particulièrement visible à mesure que des figures locales expriment une forme de soutien implicite à l’EI en réaction à ce qu’elles perçoivent comme une répression communautaire ciblée.

Le cheikh Ahmad al-Assir, originaire de Saïda et arrêté en 2015, illustre cette dynamique. Présenté comme un relais potentiel de l’EI au Liban, il incarnait la frange jihadiste radicale qui appelait à l’affrontement direct avec le Hezbollah et l’armée.

Financement et contre-mesures internationales

L’EI ne bénéficie d’aucun appui institutionnel. Son financement repose essentiellement sur des réseaux criminels: trafic d’armes, extorsions, enlèvements contre rançon, ainsi que sur des dons privés et des transferts logistiques transfrontaliers.

Selon un rapport du département du Trésor américain datant de novembre 2024, la branche centrale de l’EI (ISIS Core) conserve environ 10 millions de dollars en réserves, alimentées par l’extorsion de populations locales, les vols, ainsi que des réseaux internationaux de collecte de fonds. Ces revenus échappent en grande partie à l’économie formelle, ce qui complique leur traçabilité.

Par ailleurs, l’EI a récemment intensifié son usage des cryptoactifs pour contourner les contrôles, lever des fonds auprès de sympathisants internationaux et financer directement des attaques à l’étranger.

Au Liban, si les montants en jeu restent bien plus modestes, les mêmes mécanismes sont soupçonnés d’être à l’œuvre.

Le soutien américain

Selon le Country Reports on Terrorism 2022 du département d’État américain, les États-Unis ont fourni plus de 6 millions de dollars d’assistance sécuritaire au Liban en 2022, notamment à travers le programme Antiterrorism Assistance (ATA), afin de renforcer les capacités de l’armée libanaise et des Forces de sécurité intérieure (FSI). 

Cette aide a porté sur la lutte contre les engins explosifs improvisés (IED), la protection des institutions, la réponse aux activités terroristes, ainsi que les enquêtes numériques en cybersécurité. Ces formations ont permis, entre autres, de déjouer un attentat planifié par l’EI dans un camp palestinien en février 2022.

En parallèle, les FSI ont arrêté 30 membres de cellules affiliées à l’EI entre juillet et octobre 2022, incluant des Libanais, des Syriens, des Palestiniens et un Égyptien. Ces cellules projetaient des attaques contre des sites militaires et des rassemblements civils ou religieux.

Par ailleurs, le projet de sécurisation de la frontière terrestre avec la Syrie, financé par les États-Unis, le Royaume-Uni et le Canada, a permis à l’armée libanaise d’améliorer ses capacités de surveillance, d’interdiction et d’infrastructure physique. 

Le département d’État note également que les unités soutenues par les États-Unis ont joué un rôle central dans l’interception de combattants étrangers de retour de Syrie et dans la prévention de leur enracinement au Liban. Un rappel que l’armée libanaise, qui jouit d’un appui occidental significatif, est bien plus que capable de garantir la souveraineté du pays. À bon entendeur, salut.

 

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