Au Maroc, un ambitieux projet pour ouvrir le Sahel à l'Atlantique
La construction du port Atlantique de Dakhla se situe à 40 km au nord de la ville de Dakhla, sur le territoire de la commune rurale d’El-Argoub, dans la région de Dakhla, au Sahara occidental — territoire disputé, majoritairement contrôlé par le Maroc — le 26 mai 2025. ©Abdel Majid Bziouat / AFP

Permettre aux pays du Sahel d'accéder à sa façade atlantique via des milliers de kilomètres de corridors logistiques terrestres: c'est le projet colossal que poursuit le Maroc, non sans défis dans une région en pleine recomposition et minée par les violences jihadistes.

L'«Initiative Atlantique», annoncée en novembre 2023 par le roi du Maroc, vise à donner au Mali, au Burkina Faso, au Niger et au Tchad, tous enclavés, un accès à l'océan. Un projet qui «transformera substantiellement l'économie de ces pays» et de «toute la région», a affirmé Mohammed VI.

Rabat ferait d'une pierre plusieurs coups: étendre son influence en Afrique, développer le territoire disputé du Sahara occidental, dont la majeure partie est contrôlée par le Maroc mais revendiquée par les indépendantistes sahraouis du Front Polisario soutenus par l'Algérie, et damer le pion à Alger, dont les relations avec le Mali, le Niger et le Burkina se sont dégradées.

L'annonce avait été faite dans un contexte géopolitique mouvant: entre 2020 et 2023, des coups d'État ont frappé ces trois pays, et les régimes militaires qui y ont pris le pouvoir ont tourné le dos à l'Occident pour se rapprocher de la Russie.

Au même moment, certaines décisions de l'Union africaine et d'organismes régionaux comme la CEDEAO (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest) contribuaient à isoler les nouveaux régimes.

Or le Maroc est «l'un des tout premiers pays auprès de qui on a trouvé la compréhension, au moment où la CEDEAO et d'autres pays étaient sur le point de nous livrer la guerre», a affirmé fin avril à Rabat le ministre des Affaires étrangères du Niger, Bakary Yaou Sangaré.

Au regard de la situation, «l'initiative royale est une aubaine pour nos pays», a-t-il assuré après avoir été reçu par Mohammed VI en compagnie des chefs de la diplomatie du Burkina et du Mali.

«Triangularité»

Ces trois pays ont formé en septembre 2023 l'Alliance des États du Sahel (AES).

Actuellement, l'AES s'appuie, pour ses échanges commerciaux, sur des ports situés dans plusieurs pays de la CEDEAO (Bénin, Togo, Sénégal, Côte d'Ivoire, Ghana), mais les tensions régionales peuvent en compliquer l'accès.

Le projet intervient aussi à un moment de tensions entre l'AES et son voisin algérien: les pays de l'alliance ont récemment rappelé leurs ambassadeurs à Alger, accusant les autorités algériennes d'avoir abattu un drone malien.

En outre, les mécanismes sécuritaires de l'Europe comme Barkhane ou Takuba ont «échoué» en Afrique, affirme Beatriz Mesa, professeure à l'université internationale de Rabat.

Le Maroc, qui se positionne dans une "triangularité" avec l'Afrique et l'Occident, est en train de «rentabiliser ces échecs en se positionnant dans le Sud global comme partenaire fiable de l'Europe» et de l'Afrique, analyse-t-elle.

Après les grandes annonces, reste la question de la faisabilité et du financement.

«Etapes à franchir»

D'après la revue «Afrique(s) en mouvement», qui réunit plusieurs experts, des pays comme les États-Unis, la France ou des États du Golfe, qui ont publiquement soutenu l'initiative marocaine, sont de potentiels bailleurs pour ce projet au coût faramineux.

Selon Abdelmalek Alaoui, président de l'Institut marocain d'intelligence stratégique (Imis), un réseau terrestre entre le Maroc et le Tchad, qui passerait par la Mauritanie, pourrait coûter près d'un milliard de dollars (environ 930 millions d'euros).

Le tracé reste pour l'instant flou mais le Tchad, qui semble «un peu en retrait» dans le projet par rapport à l'AES, est distant de quelque 3.000 kilomètres du Maroc, souligne Seidik Abba, président du Centre international d'études et de réflexions sur le Sahel (CIRES).

Il y a donc «encore des étapes à franchir» puisque pour l'instant, le «réseau (routier ou ferroviaire) n'existe pas», dit cet expert nigérien, relevant aussi le manque de parc automobile dans la région.

Selon Rida Lyammouri du groupe de réflexion marocain Policy Center for the New South, «une nouvelle route terrestre» entre le Maroc et la Mauritanie est «presque finalisée», et Nouakchott mène des travaux sur son territoire pour garantir la continuité du corridor.

Mais la question des routes dépend surtout de la sécurité au Sahel. «Si vous avez des escarmouches, de facto, vos travaux s'arrêtent», pointe M. Alaoui, alors que la région est en proie à des attaques jihadistes persistantes.

Concernant l'import-export, le futur port en eau profonde «Dakhla atlantique», conçu dans la dynamique de développement du Sahara occidental, sera mis à disposition de l'initiative marocaine.

Lancé fin 2021, ce chantier d'1,2 milliard d'euros, situé à El Argoub, au cœur du territoire, affiche un taux d'avancement de 38 %. La fin des travaux est prévue pour 2028.

AFP

 

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