
Un ancien député sunnite, qui fut longtemps l’un des principaux ténors parlementaires et qui reste aujourd’hui l’une des rares voix de la raison dans le pays, soulignait à l’auteur de ces lignes, en pleine révolution du Cèdre, que le siège israélien de Beyrouth, en 1982, avait été pour ses coreligionnaires un véritable tournant existentiel. Ils ont en effet pris conscience, sous les bombes, que leur rêve d’union et de solidarité arabes n’était que pure chimère, puisqu’aucune force arabe n’était venue à leur secours et que, de ce fait, la seule véritable garantie pour eux était le Liban et des relations bien pensées avec les partenaires nationaux.
Il serait sans doute salvateur que les cadres, les miliciens et les partisans du Hezbollah aient aujourd’hui ce même réflexe «libaniste» à la lumière de la passivité (militaire) totale dont a fait preuve la République islamique lorsque la formation pro-iranienne a déclenché, en octobre 2023, à la demande des mollahs de Téhéran, une guerre ouverte contre Israël. Il n’est pas superflu de rappeler que ce conflit – que personne au Liban ne voulait – s’était traduit par des raids ciblés successifs qui avaient décapité la haute hiérarchie politique et militaire du parti, parallèlement aux jeunes tués par milliers au combat, sans compter la destruction de plusieurs villages au Sud et l’exode auquel ont été forcés des centaines de milliers d’habitants. Les fidèles du Hezbollah auront sans doute relevé que ce n’est nullement par manque de moyens militaires que le régime iranien n’avait pas volé au secours de son allié lors de cette funeste «guerre de soutien». Preuve en est la pluie de missiles iraniens qui s’est abattue sur Tel-Aviv et Haïfa, notamment, au cours de la «guerre des douze jours» entre Israël et l’Iran.
La différence entre ces deux cas de figure – le réflexe sunnite à la suite de la guerre de 1982 et l’alignement aveugle et guerrier du Hezb sur l’Iran – est manifestement d’ordre idéologique. Le bras armé des Pasdaran au Liban et dans la région est lié à son parrain iranien par un cordon ombilical de nature idéologique. Cette alliance, en tous points très particulière, joue toutefois à sens unique. Wilayat el-faqih oblige… La formation chiite (à l’instar des autres proxys iraniens) était appelée à constituer une première ligne de défense pour le régime des mollahs en cas de guerre avec Israël. Mais la réciproque ne s’est pas produite: à part livrer à ses vassaux des armes, des munitions, des engins de mort et une aide financière (au détriment de ses propres citoyens), la République islamique n’est intervenue concrètement à aucun moment pour alléger la pression militaire sur le Hezbollah, le Hamas ou les Houthis. Elle commandait par contre à ses instruments armés des actions guerrières lorsque ses intérêts stratégiques étaient en jeu.
Les développements de la «guerre des douze jours» ainsi que la longue série de raids quasi quotidiens qui visent, depuis novembre dernier, les cadres et les positions du Hezb, sans aucune riposte possible, ont démontré que l’arsenal militaire du parti est devenu inutile et qu’il n’a plus – il n’a jamais eu, en fait – de raison d’être: il n’a pas pu défendre réellement la milice – et encore moins le Liban – et il n’a pas servi à alléger la pression sur son parrain régional.
Le Premier ministre, Nawaf Salam, a souligné, fort à propos, que la remise par le Hezbollah de ses armes à l’État est une nécessité libanaise avant d’être une demande internationale. Face aux coups sévères assénés par Israël au régime des mollahs, il est sans doute grand temps que le directoire du parti chiite ait l’extrême courage politique de sortir ses liens avec Téhéran du carcan de la wilayat el-faqih et de concevoir une relation rationnelle avec l’Iran, tenant compte des impératifs et des intérêts supérieurs libanais.
Une telle approche nécessite une «révolution culturelle» au niveau des dirigeants de la formation chiite et un retour «politique» au Liban, à l’image de la prise de conscience sunnite à la suite du lâchage arabe lors du siège israélien de 1982. Le commandement du Hezbollah est-il capable d’un tel sursaut national, impliquant de rompre le cordon ombilical avec ses maîtres à penser? Il n’est pas interdit de rêver… Les chefs du parti chiite devraient peut-être à cet égard réfléchir à la signification et à la portée véritable de la notion de «force tranquille» qui avait été choisie comme slogan par François Mitterrand lors de sa campagne présidentielle de 1981. Appliqué au cas spécifique du Liban, ce leitmotiv implique qu’un parti bien organisé n’a nul besoin d’adopter une posture agressive ni de se doter d’un arsenal militaire et d’une infrastructure guerrière pour se forger une place de choix sur l’échiquier politique local.
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