Demna chez Gucci: le rebelle styliste forcé de changer
Le styliste de Vetements, Demna Gvasalia, salue les invités à la fin de son défilé homme et femme printemps-été 2019, à Paris, le 1er juillet 2018. ©Geoffroy VAN DER HASSELT / AFP

Après dix années provocatrices chez Balenciaga, Demna rejoint Gucci dans un tournant plus mesuré. Le créateur géorgien, connu pour ses chocs visuels, promet de tempérer sa vision tout en conservant son style singulier.

Enfant, il a fui la guerre et appréhendait la mode comme un « champ de bataille », n’hésitant pas à interpeller jusqu’à déranger: allé trop loin, le Géorgien Demna, qui passe de Balenciaga à Gucci, a été contraint de s’assagir. «Ce que Demna a apporté à la mode, à Balenciaga et au succès du groupe est immense. Sa force créative est exactement ce dont Gucci a besoin», a salué François-Henri Pinault, PDG de la maison mère Kering, dans le communiqué annonçant ce transfert inattendu mi-mars.

Son dernier défilé pour la maison française mercredi à Paris, pendant la semaine de la haute couture, est l’un des plus attendus et fera sans nul doute le plein de stars proches du designer. Il rejoindra la griffe italienne dès le lendemain.

Depuis le 26 juin, une exposition baptisée Balenciaga par Demna attire aussi les foules au siège parisien de Kering. Elle retrace ses dix années de création à travers une centaine de pièces, de la robe haute couture à la sneaker XXL en passant par le célèbre cabas en cuir inspiré du sac Ikea.

Sans rancune, Demna y dévoile même un mail de 2007 dans lequel Balenciaga déclinait sa candidature.

Success story et accrocs

Presque vingt ans plus tard, le Géorgien de 44 ans a fait de la griffe une marque désirable, ayant franchi le milliard d’euros de chiffre d’affaires.

Clés de ce succès, son style iconoclaste, des T-shirts à de la haute couture, sa capacité à rendre désirable le «moche», des Crocs à semelles compensées aux sacs poubelle, ainsi que ses connexions people, de la rappeuse américaine Cardi B à l’actrice française Isabelle Huppert.

Mais cela ne s’est pas fait sans accrocs.

Retour en 2022. En octobre, Balenciaga doit couper les ponts avec le rappeur Kanye West, ami de Demna qui a ouvert son défilé trois semaines plus tôt à Paris, après ses dérapages antisémites.

En novembre, le styliste, cité parmi les 100 personnalités les plus influentes au monde par le magazine américain Time, se retrouve lui-même dans l’œil du cyclone après une campagne publicitaire mettant en scène des enfants avec des accessoires d’inspiration sado-masochiste.

Demna reconnaît un «mauvais choix artistique» et promet de changer son « approche provocatrice » dans la façon de concevoir et de montrer ses vêtements.

«On a droit à l’erreur dans un groupe comme Kering. On n’a pas le droit de faire deux fois la même», le prévient François-Henri Pinault.

Défilés sur une table de cuisine XXL inspirée de celle de sa grand-mère ou dans un étroit couloir à l’intérieur d’un cube noir, plutôt que dans la boue, mais collections toujours très streetwear, le créateur a depuis mis de l’eau dans son vin, tout en conservant ses signes distinctifs.

Suffisant pour relancer Gucci, en perte de vitesse? L’action Kering a dégringolé après l’annonce de sa nomination, les investisseurs attendant plutôt un poids lourd venu de l’extérieur, selon des analystes.

«Traumatismes»

Demna Gvasalia, qui a abandonné son nom de famille pour ses représentations dans la mode, est né le 25 mars 1981 à Soukhoumi, en Abkhazie, région de la Géorgie alors république soviétique.

Dans les années 1990, après la chute de l’URSS, il a fui, avec sa famille, le « nettoyage ethnique » des Géorgiens par les séparatistes abkhazes prorusses.

« La guerre en Ukraine a réveillé la douleur et les traumatismes que j’avais en moi », a-t-il confié en dédiant, en mars 2022, un show au pays récemment envahi par la Russie, lors duquel ont défilé sous une tempête de neige des « réfugiés » à moitié dénudés et portant des sacs poubelle, vendus ensuite à plus de 1.500 euros.

Diplômé de l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers (Belgique), Demna est passé par Maison Margiela et Vuitton, avant de créer avec son frère en 2014 la marque Vêtements, abandonnée en 2019, puis d’être nommé directeur artistique de Balenciaga en 2015.

Dans une interview en 2021 au magazine Vanity Fair, il confiait que la mode était pour lui «une bataille», d’où «l’agressivité et la noirceur» de ses créations.

Par Olga NEDBAEVA / AFP

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