Et si l’IA permettait de regarder ses rêves comme un film?
Des chercheurs japonais ont conçu une IA capable de reconstruire visuellement ce dont vous avez rêvé pendant votre sommeil. ©Shutterstock

Des chercheurs japonais travaillent sur une IA capable de capter les images de nos rêves et de les restituer visuellement avec 60% de précision. Une avancée fascinante, entre science, inconscient et futur de la conscience humaine.

Dormir, rêver… et bientôt regarder ses songes au réveil comme un film? Cette idée qui relève encore de la science-fiction commence à prendre forme dans les laboratoires de recherche. Au Japon, une équipe dirigée par le neuroscientifique Yukiyasu Kamitani, au sein de l’ATR Computational Neuroscience Laboratories à Kyoto, a développé une technologie révolutionnaire: un système d’intelligence artificielle capable de reconstruire visuellement les rêves à partir de l’activité cérébrale enregistrée pendant le sommeil paradoxal.

Concrètement, il s’agit d’un casque combinant imagerie cérébrale (IRM fonctionnelle) et modèle d’apprentissage automatique. Pendant que le sujet dort, les chercheurs analysent en continu l’activité des zones visuelles du cerveau. Dès que la phase de sommeil paradoxal (moment où les rêves sont les plus vivaces) est détectée, les données sont enregistrées. Le dormeur est ensuite réveillé et invité à décrire ce dont il rêvait. Ces descriptions sont ensuite corrélées aux signaux cérébraux captés, afin de créer une base de données individuelle. L’IA est alors entraînée à faire correspondre certaines activités cérébrales à des images ou des catégories visuelles simples (formes, objets, visages, environnements).

Dans une étude récente, les chercheurs ont montré que leur système pouvait reconstruire avec 60% de fidélité le contenu visuel des rêves d’un individu. Pour certains éléments comme les objets, les visages ou les paysages, la précision atteindrait même jusqu’à 70%. Loin d’être des vidéos en haute définition, les reconstructions ressemblent à des images floues, comme des souvenirs partiellement effacés, mais elles reprennent les structures fondamentales du rêve observé: une silhouette humaine, une rue, un arbre, un visage… Le tout, généré par l’IA à partir des signaux cérébraux.

L’inconscient en pixels 

Cette technologie, qui semble sortie d’un roman de Philip K. Dick, soulève autant d’enthousiasme que de questions. Pour la première fois, il serait possible d’accéder à une représentation visuelle d’un contenu intérieur inconscient. Une telle possibilité ouvre des perspectives majeures dans le domaine de la santé mentale. En analysant les rêves de manière non subjective, les cliniciens pourraient détecter des signes précoces de troubles psychiques: anxiété, dépression, stress post-traumatique… Les rêves ont toujours été un lieu d’expression symbolique de notre état psychique, celui de pouvoir les décoder de façon rigoureuse pourrait permettre de mieux comprendre l’origine des troubles, voire d’ajuster les thérapies.

Autre domaine concerné: la créativité. Les artistes, écrivains, designers pourraient puiser dans leurs rêves des sources d’inspiration nouvelles, transformant les productions nocturnes du cerveau en matériau brut. L’inconscient deviendrait un laboratoire visuel, une sorte de cinéma intérieur dont on pourrait capturer les fragments. Les rêveurs lucides, eux, y verraient un terrain d’exploration quasi philosophique, où le sommeil deviendrait un espace conscient, presque navigable.

Mais cette perspective, aussi inespérée soit-elle, doit être fortement nuancée. D’abord, la technologie reste lourde et individualisée. Chaque IA doit être entraînée sur le cerveau spécifique du sujet, ce qui nécessite plusieurs nuits de tests, d’IRM fonctionnelles et d’analyses croisées. De plus, la précision reste partielle: il s’agit d’associations statistiques entre des motifs cérébraux et des catégories d’images, pas d’un film fidèle et détaillé. On est encore loin de revoir Inception dans sa propre tête.

Aux frontières de l’esprit

Malgré ses limites, ce type de recherche marque une étape majeure dans l’exploration scientifique de la conscience. Les rêves ont longtemps été le territoire du mystère, du symbolique, de la psychanalyse. Pouvoir les approcher par la technologie, sans les réduire mais en les visualisant, permet une rencontre inédite entre les sciences du cerveau et les territoires de l’âme.

Des recherches similaires se développent ailleurs. En Chine, Baidu a déposé un brevet pour un système croisant les vocalisations et les signaux physiologiques d’animaux pendant le sommeil. D’autres équipes utilisent l’EEG, les mouvements oculaires, ou même les rythmes cardiaques pour décoder des fragments de songes. Le projet DreamDiffusion, récemment publié sur arXiv, propose de combiner les descriptions verbales des rêves avec de l’IA générative pour produire des images plus fines, nourries à la fois par le récit et les données cérébrales.

Mais tous les chercheurs s’accordent sur un point: la visualisation des rêves ne peut être qu’un support, jamais une preuve absolue. Un rêve est un phénomène intime et éphémère. Toute tentative de le fixer comporte un risque de déformation ou de simplification. L’IA peut montrer un reflet, mais ce reflet ne sera jamais tout à fait le rêve lui-même.

En attendant une version grand public de cette technologie (qui reste à des années d’une éventuelle commercialisation), cette avancée a le mérite de remettre le rêve au centre de la recherche scientifique et philosophique.

 

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