
Des chercheurs travaillent sur des vaccins capables de prévenir les caries en s’attaquant directement aux bactéries responsables. Tests cliniques, extraits végétaux, probiotiques… la médecine dentaire entre dans une ère nouvelle, entre biotechnologie et régénération cellulaire.
Et si demain, une simple application sur les dents suffisait à se protéger contre les caries? Ce scénario, qui semblait relever de la science-fiction, devient de plus en plus plausible à mesure que la recherche avance. Depuis plusieurs années, les scientifiques cherchent à développer un vaccin contre la carie dentaire, première maladie infectieuse chronique au monde. Aujourd’hui, plusieurs équipes internationales annoncent avoir franchi un cap décisif.
C’est en ciblant la bactérie Streptococcus mutans, principale responsable de la formation de plaque dentaire et de l’érosion de l’émail, que les chercheurs espèrent neutraliser le mal à la racine. Parmi les avancées les plus notables figure un vaccin peint sur les dents, mis au point à partir de plantes de tabac génétiquement modifiées. Ce vaccin oral, développé par la société Planet Biotechnology en collaboration avec des chercheurs britanniques, utilise un extrait végétal qui induit une réponse immunitaire locale: les anticorps produits dans la salive viennent neutraliser S. mutans avant qu’elle ne puisse s’installer.
Ce vaccin n’est pas encore commercialisé, mais il a déjà été testé chez l’homme avec des résultats encourageants. Selon l’agence APM News, quelques applications suffiraient à garantir quatre mois de protection. Cette forme non invasive, à la fois pratique et sans aiguille, ouvre des perspectives prometteuses, notamment pour les enfants ou les personnes âgées, souvent plus vulnérables à la carie.
Bactéries modifiées, peptides régénérants et voies nasales
Le front de l’innovation ne s’arrête pas là. Une autre approche, encore plus radicale, consiste à remplacer S. mutans par une souche génétiquement modifiée non acidogène, baptisée BCS3-L1. Cette bactérie «amie» colonise l’environnement buccal et empêche les autres souches nocives de s’y installer. Un concept similaire à celui du microbiote intestinal, mais appliqué à la cavité buccale.
La start-up Lumina Probiotic, basée aux États-Unis, a commencé à commercialiser un kit cosmétique basé sur cette souche, sous forme de dentifrice. Si les effets sont encore en cours d’évaluation, cette stratégie ouvre la voie à une médecine préventive par la substitution microbienne, et non plus uniquement par la destruction des agents pathogènes.
En parallèle, des chercheurs chinois et portugais explorent la piste d’un vaccin intranasal contre les caries, visant à induire une immunité mucosale contre S. mutans et S. sobrinus. Les premiers essais précliniques montrent des taux d’efficacité de 50 à 64% chez la souris. Encore au stade expérimental, cette voie intéresse néanmoins les spécialistes pour son potentiel à induire une réponse immunitaire générale, sans passer par une injection.
Autre piste en pleine expansion, la régénération de l’émail grâce à des peptides biomimétiques. Des chercheurs de l’université de Leeds, en collaboration avec la société suisse Credentis, ont mis au point une molécule appelée P 11‑4, capable de se glisser dans les microfissures de l’émail et d’y activer un processus naturel de reminéralisation. Commercialisé sous le nom de Curodont Repair, ce traitement est déjà utilisé par certains dentistes en cabinet et pourrait représenter une alternative aux premiers soins invasifs.
La prudence reste de mise
Ces innovations, si elles s’additionnent, pourraient bouleverser l’approche traditionnelle de la prévention dentaire, encore largement centrée sur le fluor, le brossage et le suivi régulier. «Nous assistons à un changement de paradigme», explique un chercheur en biotechnologie dentaire sous anonymat. «Il ne s’agit plus seulement de réparer les dégâts, mais d’empêcher que la carie ne se développe, voire de régénérer les tissus attaqués.»
Pour autant, la prudence reste de mise. Aucun de ces vaccins ou solutions n’a encore obtenu l’autorisation d’être commercialisé comme médicament de prévention standard. Les essais cliniques sont en cours, les protocoles d’efficacité et de sécurité doivent encore être validés à grande échelle, et les effets secondaires étudiés sur le long terme.
Mais une chose est sûre: la lutte contre les caries entre dans une nouvelle ère. Une ère où la médecine dentaire pourrait ne plus se contenter de soigner, mais commencer à prévenir et à renforcer. Une bonne nouvelle pour les 2,4 milliards de personnes touchées chaque année par cette affection trop banalisée, et un soulagement potentiel pour les systèmes de santé, qui dépensent des milliards en soins dentaires curatifs.
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