Microbes, pollution, malbouffe: l'été de tous les dangers au Liban
Microbes, pollution, malbouffe ©Ici Beyrouth

Entre virus, bactéries et air irrespirable, le Liban suffoque. Gastro-entérites, Covid, rotavirus, grippes et infections respiratoires se multiplient dans un pays où l’hygiène publique a disparu des radars.

Un pays fiévreux, des citoyens à bout de souffle

Un matin comme un autre à Beyrouth. Des files inhabituelles à la pharmacie, des cabinets médicaux débordés, des parents inquiets dans les salles d’attente pédiatriques. Fièvre, toux, diarrhée, vomissements… Depuis plusieurs semaines, les Libanais tombent malades à la chaîne. Gastro-entérites, rotavirus, grippe estivale, Covid et infections pulmonaires se croisent, se superposent et se relaient dans un pays devenu un incubateur à ciel ouvert.

À l’origine de ce «syndrome libanais», une hygiène publique défaillante, une pollution omniprésente, une gestion sanitaire en chute libre, et une population à bout de souffle.

Une vague de maladies à ciel ouvert

Les médecins sont formels: le Liban fait face à une recrudescence anormale des infections. Les urgences ne désemplissent pas, les pharmacies sont assaillies pour du paracétamol, des probiotiques, des sirops et des sprays nasaux.

À l’hôpital Geitaoui, le gastro-entérologue Antoine Geagea évoque une situation inédite: «Nous recevons énormément de cas de gastro-entérites virales et bactériennes. Les épisodes sont plus sévères que d’habitude, avec de fortes déshydratations.»

Autre fait marquant: la fréquence de cas groupés au sein des familles. «C’est un véritable cocktail pathogène, avec du rotavirus, du Campylobacter, de l’E. coli...», précise-t-il.

Plusieurs facteurs expliquent cette flambée. «Le flux accru de touristes joue un rôle non négligeable, mais les conditions d’hygiène dans de nombreux restaurants sont aussi en cause», souligne-t-il. «La manipulation du poulet, en particulier, est souvent problématique.»

Et le spécialiste d’ajouter un conseil de base mais crucial: «Il faut absolument éviter de consommer des crudités, de la viande crue ou du poulet dans les restaurants douteux, surtout lorsqu’ils ne respectent pas les recommandations sanitaires ni les normes d’étiquetage.»

Le virus du Covid, lui, n’a jamais vraiment disparu. Il ressurgit par vagues, dans un climat d’indifférence générale. «Le Covid circule à bas bruit mais de manière continue, souvent masqué sous forme de rhume ou de syndrome grippal ou gastro-entérite…», confirme le professeur Jacques Choucair, chef du service des maladies infectieuses à l’Hôtel-Dieu de France.

«Nous avons aussi constaté une hausse des syndromes pseudo-grippaux non-Covid, probablement liés à d’autres virus saisonniers», ajoute-t-il.

Quand la saleté devient un facteur de santé publique

Dans les rues de Beyrouth, les images parlent d’elles-mêmes. Poubelles à ciel ouvert, rivières devenues égouts, égouts devenus rivières, et nappes phréatiques contaminées. La situation est telle que même les plus fatalistes n’en peuvent plus.

«L’été, la chaleur accélère la décomposition des déchets, favorise la prolifération microbienne, et aggrave la pollution de l’air», explique le docteur Choucair. À cela s’ajoutent le manque de responsabilité et la négligence des précautions de base, qui augmentent les risques de contagion.

«L’hygiène collective est catastrophique. Quand l’environnement est toxique, le corps humain devient vulnérable», souligne-t-il. 

Ajoutez à cela les générateurs privés vrombissants, les embouteillages asphyxiants, les industries sans filtres… Il suffit de descendre de la montagne au petit matin pour apercevoir un épais nuage grisâtre surplombant Beyrouth. L’air est irrespirable.

Des enfants en première ligne

Les pédiatres tirent, eux aussi, la sonnette d’alarme. L’infection à rotavirus, responsable de gastro-entérites aiguës chez les nourrissons, circule activement.

«On voit des bébés déshydratés, épuisés, hospitalisés pour des épisodes qu’on aurait pu éviter avec de simples mesures de prévention», regrette une pédiatre de la région du Metn.

Même son de cloche à l’hôpital Saint-Georges d’Achrafieh, où la Dre Gretta Sahyoun Harrouk, pédiatre consultante, confirme une augmentation sensible des cas: «Oui, cette année, le rotavirus a touché un grand nombre d’enfants, mais aussi d’adultes. Il faut toutefois souligner que ce phénomène de propagation virale se répète périodiquement», nuance-t-elle.

Elle s’inquiète surtout du recul de la vaccination pédiatrique, aggravé par la crise: «C’est très préoccupant, notamment depuis l’augmentation des prix des vaccins et leur indisponibilité par moments.

Par ailleurs, la crise sanitaire a provoqué une forme de vaccinophobie, alimentant une méfiance généralisée envers tous les vaccins.»

Face à cette circulation virale intense, le rôle des parents est crucial. «Ils doivent veiller à une bonne hygiène, mais aussi à ce que leurs enfants reçoivent les vaccins recommandés dès qu’ils y ont droit», insiste la Dre Sahyoun Harrouk.

Et ce n’est pas tout: d’autres pathologies estivales inquiètent les praticiens. «La gastro-entérite, en général – pas uniquement celle causée par le rotavirus –, est très répandue en été. Il est donc important de bien laver les fruits et les légumes, de respecter la chaîne du froid pour les produits laitiers et les viandes, et de s’assurer d’une cuisson suffisante, surtout pour le poulet et la viande hachée.»

Les enfants sont aussi les premières victimes de la pollution atmosphérique. La pneumologue Carole Youakim constate une hausse inquiétante des cas d’asthme et de bronchites chroniques chez les plus jeunes: «On parle souvent de virus, mais on oublie les facteurs aggravants: l’air que nous respirons est saturé de particules fines. Ces dernières enflamment les voies respiratoires, surtout chez les enfants, les personnes âgées et les patients fragiles.»

Un système sanitaire dépassé

Alors que les virus s’installent, le système de santé libanais continue de s’effondrer. Les services de contrôle sanitaire sont quasiment inactifs, les inspections alimentaires rares ou symboliques, et les eaux usées ne sont plus traitées.

«Nous faisons de la médecine de débrouille, résume le docteur Geagea. On soigne, on panse, mais on n’anticipe plus rien. Les gens s’automédiquent, évitent les tests, se soignent à domicile... jusqu’à l’urgence.»

Dans un pays où le ministère de la Santé est davantage occupé par les chiffres politiques que par les épidémies silencieuses, les médecins tentent tant bien que mal de colmater les brèches.

Quand l’État est malade, les citoyens trinquent

Ce que vit actuellement le Liban n’est pas une crise passagère, mais la conséquence directe d’années de négligence. Quand l’eau du robinet est impropre, quand les bennes à ordures débordent, quand l’air est saturé de toxines, la santé publique devient une illusion.

«Le lien entre environnement et maladies infectieuses est évident. Il n’y a pas de santé sans hygiène collective», martèle le docteur Choucair.

Pendant ce temps, les Libanais continuent de tomber malades, dans l’indifférence générale. Tout le monde tousse, vomit, crache ou éternue. Et le plus grave, peut-être, c’est qu’on finit par s’y habituer.

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