
Après les loyers résidentiels, c’est désormais au tour des anciens baux commerciaux d’entrer dans une phase de libéralisation progressive. Une évolution attendue de longue date, qui vient bousculer un statu quo figé depuis plusieurs décennies. Mais la récente décision du Conseil d’État pourrait avoir des répercussions bien au-delà du marché locatif: de nombreux établissements publics et administrations pourraient être contraints de quitter les locaux qu’ils occupent en location depuis des années, faute de base légale assurant leur maintien. Selon certaines estimations, plus de 400 sites seraient concernés.
Le Conseil constitutionnel a validé, dans sa grande majorité, la loi sur les anciens baux commerciaux adoptée en avril 2024, en rejetant le recours en annulation présenté par treize députés. Toutefois, une disposition-clé a été censurée: l’alinéa d de l’article 10 a été abrogé, pour non-conformité aux principes d’égalité et d’équité garantis par la Constitution.
Une loi contestée dans son ensemble
Le recours visait l’ensemble de la loi n°302/2024, qui encadre les anciens baux commerciaux. Le texte introduit de nouveaux mécanismes d’ajustement des loyers et redéfinit les critères de fixation de la valeur locative. Les députés requérants dénonçaient un déséquilibre entre les droits des propriétaires et des locataires, des pouvoirs excessifs confiés aux commissions d’évaluation, ainsi qu’un flou juridique dans plusieurs articles.
Une loi adoptée dans les règles
Dans sa décision, le Conseil constitutionnel a écarté la majorité des griefs, rappelant que le texte avait été adopté conformément aux règles de procédure. Il a souligné que le législateur dispose d’un pouvoir d’appréciation pour arbitrer entre les intérêts en présence, tant qu’il ne porte pas atteinte aux principes fondamentaux de la Constitution.
Une clause jugée inconstitutionnelle
Seule entorse: l’alinéa d de l’article 10. Celui-ci autorisait les commissions d’évaluation à retirer la qualification d’«ancien bail» si le loyer dépassait de 50% ou plus la valeur locative du bien. Le Conseil a considéré que cette disposition violait le principe de stabilité contractuelle et les droits acquis, en conférant à une autorité administrative un pouvoir de résiliation unilatérale sur des critères flous, un domaine qui relève normalement du juge.
Une réécriture attendue au Parlement
La décision du Conseil constitutionnel maintient le reste du texte, avec une simple censure partielle. Elle ouvre ainsi la voie au Parlement, qui pourra réécrire l’alinéa censuré, dans le respect des normes constitutionnelles.
Vers un exode administratif forcé?
La nouvelle loi sur les anciens baux commerciaux ne se limite pas aux boutiques ou aux entrepôts: elle touche de plein fouet les locaux loués par l’État avant 1992, utilisés pour héberger des écoles publiques, des facultés de l’Université libanaise, des postes de gendarmerie ou encore des administrations. Au total, plus de 400 sites seraient dans le viseur.
Selon un expert juridique, l’impact financier pour l’État pourrait être considérable. En vertu de la loi, le renouvellement d’un bail sur quatre ans impliquerait le paiement d’un loyer annuel équivalent à 16% de la valeur vénale du bien. Une facture d’autant plus salée que l’État, selon les pratiques en vigueur, loue souvent au-dessus des prix du marché. Résultat: ce surcoût serait in fine supporté... par les contribuables.
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