À la rencontre de Libanais en Corse
La baie d'Ajaccio, en Corse. ©Elie Valluy

Ici Beyrouth s’est rendu à la rencontre de Libanais qui ont élu domicile en Corse. La présence libanaise sur place n'est en rien surprenante tant les points communs entre le pays du Cèdre et l'île de Beauté sont nombreux.

Quasiment la même superficie – voire la même forme –, des kilomètres de plages, des chaînes montagneuses tombant dans la mer et abritant des ribambelles de petits villages, une mentalité et une culture méditerranéenne attachées aux traditions et à la famille… on ne compte plus les points communs qu’entretiennent la Corse et le Liban. Il n’est donc pas surprenant que l’île de Beauté ait su séduire certains Libanais – au point que quelques-uns ont choisi d’y poser leurs valises.

Ici Beyrouth s’est rendu à Ajaccio, à la rencontre de Libanais qui ont élu domicile en Corse il y a plusieurs années. Principale ville du sud de l’île, cette cité a notamment vu naître Napoléon Bonaparte et compte parmi ses décors de carte postale une baie qui n’est pas sans rappeler certaines baies libanaises.

De Beyrouth à Lille, puis Ajaccio

Rendez-vous non loin de la cathédrale Notre-Dame-de-l’Assomption, dans le quartier de la vieille ville, avec le père Louis el-Rahi, 38 ans. Il est, depuis 2023, archiprêtre de Calvi (dans le nord de l’île) – cette paroisse étant par ailleurs l’une des plus grandes de Corse.

Originaire du village de Bouar (sur la côte du Keserwan, à une trentaine de kilomètres de Beyrouth), il quitte le Liban à l’âge de 15 ans. Il se rend dans un premier temps dans le nord de la France où il fait la connaissance de l’évêque auxiliaire de Lille d’alors, Jean-Luc Brunin. Il part en 2005 – à 18 ans – pour la Corse quelques mois après que Mgr Brunin a été nommé évêque d’Ajaccio.

Louis el-Rahi raconte qu’après son arrivée sur l’île de Beauté, lorsqu’il prend la route pour se rendre de Bastia à Ajaccio et affronte les innombrables et immanquables tournants sur les routes de l’île, il constate une ressemblance entre les reliefs corses et libanais.

Après être passé par le séminaire et obtenu un master en théologie, il est ordonné prêtre en juin 2015, à 28 ans au sein de la cathédrale Notre-Dame-de-l’Assomption à Ajaccio.

Au fil de ses différentes fonctions sur l’île de Beauté, il indique avoir réussi à obtenir gratuitement un terrain de 8 hectares à Vero (à une quarantaine de minutes en voiture d’Ajaccio) et y construire un camp pour scouts. Il a par ailleurs animé un colloque sur «La religiosité populaire en Méditerranée» le 14 décembre, la veille de la venue du pape François à Ajaccio, le dimanche 15. Le souverain pontife avait clôturé ce colloque lors de sa venue en Corse.

«La Corse est une deuxième maison»

Dans l’une des rues qui longent la cathédrale, se dresse le restaurant «U Domu». Il s’agit d’un restaurant libano-corse l’été et uniquement libanais l’hiver, appartenant à Pascale Giorgi – tout comme le restaurant voisin «U Campanile, chez Pascale» – et dans lequel œuvre… la sœur du père El-Rahi, Georgette, 30 ans.

Hormis le menu, on retrouve différentes références au pays du Cèdre: un drapeau accroché à l’intérieur, une statue de saint Charbel et une photo de Beyrouth. À l’entrée de l’établissement, on peut également voir un drapeau libanais dessiné à la craie en dessous duquel on peut lire: #LiveLoveBeirut, #LiveLoveBouar et #LiveLoveAkkar.

En Corse depuis août 2014, Georgette était initialement venue pour ses études universitaires, qu’elle souhaitait suivre hors du Liban en raison des prix trop élevés des études là-bas. Elle refusait également que son père les lui paye. «Mon frère m’a dit d’essayer de faire la demande pour venir en France (pour les études, NDLR). J’ai postulé dans plusieurs universités. L’université de Corse m’a répondu en premier (…) Mon frère me parlait de la Corse et de Corte comme d’un village», raconte-t-elle. Elle précise avec humour qu’une fois arrivée à Corte, «tout le monde m’appelait 'la sœur du père Louis'» et que tous les dimanches après la messe, elle était «toujours invitée» et ne mangeait «jamais seule» les dimanches midi. «J’avais l’impression d’être dans mon propre village.»

En 2018, après quatre ans d’études de cinéma à Corte, elle obtient un diplôme universitaire en réalisation. Mais sa vie bascule durant l’été. «Le restaurant U Campanile, chez Pascale, cherchait quelqu’un pour un job d’été de deux mois (…). J’ai dit à mon frère que ça me permettrait de ne pas rester à la maison et d’avoir un peu d’argent de poche. Et c’est maintenant ma huitième saison chez elle», explique-t-elle.

Concernant les similitudes entre la Corse et le Liban – mais aussi entre les Corses et les Libanais –, Georgette se souvient: «La première fois que j’ai atterri à Bastia, je suis descendue de l’avion avec ma mère. Mon frère nous attendait à l’aéroport. Je l’ai regardé et je lui ai dit 'je suis toujours au Liban'». «Quand les gens d’ici me disent que la Corse ressemble au Liban, je leur réponds que ce n’est pas que par les paysages (…) et que je ne sais pas qui est le pire entre les Corses et les Libanais au niveau de la mentalité, parce qu’on se ressemble tellement…».

Si le restaurant «Chez Pascale» est ouvert depuis près de trente ans, le restaurant libanais, lui, n’est ouvert que depuis un an. L’idée était «d’agrandir la capacité du restaurant de 'Chez Pascale' le soir, puisque ce n’était plus ouvert le midi. (…) J’ai alors proposé, pour le midi, de faire du libanais parce que les gens adorent ça et en demandent. Elle m’a dit ‘vas-y lance-toi'», raconte Georgette. «C’est une façon de montrer aux gens ce qu’est réellement le Liban», ajoute-t-elle, précisant par ailleurs que les produits qui sont utilisés dans la cuisine du restaurant viennent directement du pays du Cèdre.

Le restaurant emploie également une salariée, libanaise elle aussi: Carole, 27 ans. Elle officie en cuisine. C’est elle qui prépare les plats que les clients dégustent. Originaire du Akkar, dans le nord du pays du Cèdre, Carole est arrivée en Corse il y a trois ans et s’est installée à Ajaccio depuis un an. La restauration n’est pas non plus son cœur de formation, elle qui est titulaire d’un master en biochimie de l’université libanaise et d’un deuxième master dans la même discipline de l’université de Corte. «J’ai des bases et des recettes que j’ai apprises à la maison, en famille, ou qui viennent de Georgette. Mais Pascale me donne toujours des conseils pour m’améliorer, elle connaît mieux la profession que moi», explique Carole.

Derrière ses fourneaux, elle confie à Ici Beyrouth son chemin jusqu’à Ajaccio. «Ma sœur connaissait Georgette. Je l’ai rencontrée pour un job d’été dans le restaurant (…) et je suis tellement bien en Corse que je suis restée à Ajaccio», indique-t-elle, mettant notamment en avant la proximité culturelle entre la Corse et le Liban. «La Corse est une deuxième maison. Je me sens ici chez moi. Je suis bien entourée.»

Climat, géographie, culture, mentalité, traditions… les liens entre Corse et Liban sont ainsi historiques et incontestables. Ces peuples sont liés, s’entendent et se comprennent… même à des milliers de kilomètres l’un de l’autre. La Méditerranée assure et entretient cette liaison.

 

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