Les assistants IA bousculent la presse et son modèle économique, déjà fragilisés
L’IA générative comme ChatGPT bouleverse les médias en ligne : moins de clics, moins de revenus publicitaires, une crise qui menace le journalisme traditionnel. ©EBASTIEN BOZON / AFP

Les assistants d’intelligence artificielle (IA) générative comme ChatGPT rognent sur la recherche classique en ligne et privent les sites d’information d’une partie de leur trafic et de leurs recettes publicitaires, un dur coup porté à un modèle déjà mal en point.

« Les trois ou quatre prochaines années vont être incroyablement difficiles pour les éditeurs de presse, dans le monde entier, quelle que soit leur taille », avertit Matt Karolian, vice-président de la recherche et développement au sein du groupe Boston Globe Media, éditeur du prestigieux quotidien.

« Les éditeurs doivent préparer leur abri », exhorte-t-il, « au risque d’être balayé sinon ».

Les chiffres sont encore rares, mais une récente enquête de l’organisation Pew Research Center a montré que le résumé d’IA générative désormais produit régulièrement lors d’une recherche sur Google dissuadait souvent les internautes d’aller plus loin.

Ils cliquent ainsi moitié moins souvent sur les liens proposés que lors d’une recherche sans IA.

C’est autant de visiteurs qui ne se rendent pas sur les sites des médias en ligne, tributaires de ce canal pour leurs recettes publicitaires et leurs abonnements.

Pour John Wihbey, professeur à l’université Northeastern, « cette tendance au ralentissement du trafic » généré par les moteurs de recherche à l’ancienne « va s’accélérer et, bientôt, le web sera un univers différent de celui que nous avons connu ».

La domination de quelques acteurs comme Google ou Meta avait déjà réduit les recettes publicitaires des médias en ligne, les contraignant à mettre l’accent sur le contenu payant et les abonnements.

Mais, pour John Wihbey, les abonnements dépendent eux aussi, du trafic, et « ils ne sont pas suffisants pour viabiliser des grands médias ».

« On commence à voir des gens s’abonner via ChatGPT », qui offre un nouveau point de contact avec l’information, rapporte Matt Karolian, « mais cela reste incroyablement modeste par rapport aux autres plateformes » de recherche, « même les petits moteurs ».

« Et pour les autres assistants d’IA, comme Perplexity, c’est encore moins », assure-t-il.

« Faire le travail » 

Pour surnager dans l’océan IA, de plus en plus de sociétés recourent au GEO (Generative Engine Optimization), une technique qui se substitue au SEO (Search Engine Optimization), méthode d’optimisation du référencement sur les moteurs de recherche classiques.

Contenus clairement labellisés, bien structurés, compréhensibles par les grands modèles d’IA, présence sur les réseaux sociaux et forums, sont quelques-unes des clefs du GEO.

« Mais la grande question », dans le cas des médias, « c’est de savoir si vous laissez les extracteurs IA de contenu se servir sur votre site », pointe Thomas Peham, patron de la start-up d’optimisation OtterlyAI.

Echaudés par la collecte sauvage de nombre de grands acteurs de l’intelligence artificielle générative, beaucoup d’éditeurs de presse ont choisi de riposter et d’empêcher l’accès de l’IA à leur contenu.

« Nous devons nous assurer que les entreprises qui utilisent notre contenu le rémunèrent à sa juste valeur », avance Danielle Coffey qui dirige l’organisation professionnelle News/Media Alliance.

Quelques accords ont été conclus sur cette base, entre le New York Times et Amazon, Google et Associated Press ou Mistral et l’Agence France-Presse.

Mais elle n’a pas clos le dossier, loin s’en faut, et plusieurs procédures judiciaires sont en cours, notamment celle du New York Times contre OpenAI et Microsoft.

Pour autant, la stratégie du blocage diminue, de fait, leur présence dans les réponses des assistants d’IA.

Face à ce dilemme, « les dirigeants (de médias) choisissent de plus en plus souvent de rouvrir l’accès », observe Thomas Peham.

Mais même en ouvrant les vannes, le succès n’est pas garanti.

Selon OtterlyAI, les médias représentent 29% des citations proposées par ChatGPT, derrière les sites d’entreprises (36%).

Mais la start-up a constaté que si la recherche chez Google privilégiait des sources reconnues comme fiables, «nous ne voyons pas cette corrélation chez ChatGPT».

Selon le rapport 2025 de l’institut Reuters sur l’information numérique, quelque 15% des moins de 25 ans disent utiliser l’IA générative pour s’informer.

Ce filtre, comme celui des réseaux sociaux, est susceptible de brouiller les repères des lecteurs quant à l’origine réelle de l’information et à sa valeur.

«A un moment donné, quelqu’un doit faire le boulot» de journalisme, s’impatiente Matt Karolian. «Sans vrai journalisme, ces plateformes IA n’auront rien à résumer.»

Google travaille à des partenariats avec des médias d’information pour alimenter ses fonctionnalités d’IA générative.

«Je pense que les plateformes vont réaliser qu’elles ont besoin de la presse», annonce John Wihbey.

Par Thomas URBAIN/AFP

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