
Un projet de loi consolidant le rôle des anciennes unités paramilitaires pro-Iran du Hachd al-Chaabi alimente un vif débat interne en Irak, et les inquiétudes des États-Unis qui y voient l’emprise de Téhéran.
Peu de détails ont filtré sur le projet de loi, dont aucune date d’examen au Parlement n’a encore été fixée. Visant à réguler et structurer le Hachd, puissante coalition hétéroclite de groupes armés regroupant plus de 200 000 combattants et employés, le texte pourrait notamment consacrer l’indépendance financière de cette institution aux ordres du Premier ministre.
La diplomatie américaine a déjà estimé que l’adoption de cette loi « institutionnaliserait l’influence iranienne et consoliderait les groupes armés terroristes, sapant ainsi la souveraineté irakienne ».
En réponse, le Premier ministre Mohamed Chia al-Soudani a défendu une mesure s’inscrivant dans une « réforme sécuritaire » du gouvernement. « Le Hachd est une institution militaire publique, opérant sous l’autorité du Commandant en chef des Forces armées », a-t-il insisté.
Pour ses détracteurs, la réforme instaurerait « quelque chose de semblable aux Gardiens de la Révolution » en Iran, l’armée idéologique de la République islamique, explique à l’AFP un responsable gouvernemental sous anonymat.
Le politologue Renad Mansour analyse plutôt qu’elle vise à « intégrer encore plus le Hachd à l’État », dans l’idée que pour certains « mieux vaut les avoir dans le système plutôt que de les exclure », pour éviter qu’ils ne jouent « les troubles-fêtes ».
Mais il reconnaît que cette « institutionnalisation » peut être considérée par d’autres comme « un moyen supplémentaire pour le Hachd de consolider son pouvoir, avec l’accès à davantage de financements, plus d’équipements et de technologies ».
« Institution militaire indépendante »
La loi intervient dans un Moyen-Orient bouleversé par 22 mois de guerre à Gaza. Les alliés de l’Iran dans la région, dont le Hezbollah libanais désormais sommé de démanteler son arsenal d’ici 2025, ont été affaiblis par des conflits avec Israël, soutenu par Washington.
Majoritairement chiite, le Hachd al-Chaabi a vu le jour en 2014, quand les Irakiens ont été appelés à prendre les armes contre la déferlante jihadiste du groupe État islamique (EI).
Les factions armées ont gagné en influence, certaines disposant de députés et de ministres, même si plusieurs de leurs chefs, dont celui du Hachd lui-même, sont visés par des sanctions américaines.
Depuis une loi de 2016, le Hachd est déjà un organe public. Et depuis 2022 il gère l’entreprise de travaux publics « Al-Mouhandis », dotée d’un capital de dizaines de millions de dollars.
Mais des factions de cette coalition jouent sur les deux tableaux : touchant des salaires publics pour leurs combattants, elles sont accusées d’agir en électron libre, hors du cadre étatique.
Et certains groupes maintiennent leur allégeance première à « l’axe de la Résistance », du nom donné par Téhéran à l’alliance de mouvements armés qu’il soutient face à Israël.
Pour Renad Mansour, difficile à ce stade de voir le Hachd évoluer vers une structure du type Gardiens de la révolution.
« Ce n’est pas une institution cohésive, il y a de nombreuses factions, plusieurs dirigeants très différents, des luttes internes », explique-t-il.
Sous anonymat, une source proche des factions armées explique à l’AFP que l’objectif des partis chiites est d’avoir une « loi spéciale » garantissant « le maintien du Hachd en tant qu’institution militaire indépendante ».
Ce que refusent députés sunnites et kurdes. Même au sein des partis chiites il n’y a pas consensus, explique le responsable gouvernemental.
Le projet de loi attend donc toujours d’être soumis au vote.
Clientélisme électoral ?
La législation proposée « renforce les capacités de combat » du Hachd et « créée de nouvelles formations dédiées au développement de cette institution sécuritaire », a détaillé le numéro deux du Parlement, Mohsen al-Mandalawi, cité par l’agence étatique INA.
Elle prévoit la création d’une académie militaire dédiée au Hachd. Et « l’indépendance financière » de l’institution, selon un rapport parlementaire publié par les médias étatiques.
Dans un avis, le Conseil d’État a déploré un « gonflement » des structures administratives, et la création de cette académie militaire plutôt que le recours à celles de la Défense, d’après ce rapport.
Mais avec des législatives en novembre, les ex-paramilitaires « ont besoin de quelque chose pour revigorer leur base », souligne M. Mansour.
« Plus le Hachd est institutionnalisé, plus il a accès aux caisses de l’État », relève-t-il, évoquant un potentiel « mécanisme clientéliste » en cours d’élaboration.
Dans les tiroirs du Parlement une deuxième loi est d’ailleurs à l’étude, portant cette fois sur le recrutement, l’avancement et les retraites du Hachd.
Avec AFP
Commentaires