Camps palestiniens: Combien de divisions?
Des personnes passent devant un portrait du chef politique du mouvement palestinien Hamas, Ismail Haniyeh, dans une allée étroite du camp de réfugiés palestiniens de Bourj el-Barajneh, dans la banlieue sud de Beyrouth, le 20 mai 2025. ©Joseph Eid / AFP

L’Autorité palestinienne s’apprête à annoncer le lancement d’une phase inédite de remise des armes dans les camps palestiniens du Liban.

Le plan, élaboré sur instructions directes du président Mahmoud Abbas, est porté par le nouvel ambassadeur palestinien à Beyrouth, Mohammad al-Assaad, et supervisé par le Fatah.

Ce jeudi après-midi, selon des sources palestiniennes citées par Voix du Liban, l’opération a débuté à 15h, dans le camp de Bourj el-Barajneh, à Beyrouth. Plus tard dans la journée, d’autres sources ont indiqué que la procédure devait s’étendre au camp d’Al-Bass, près de Tyr, avec la remise d’armes moyennes et lourdes à l’armée libanaise.

De son côté, une source militaire libanaise a confirmé à la chaîne Al-Hadath que Bourj el-Barajneh serait le premier camp concerné par le retrait des armes. La même source a précisé que le processus commencerait dès ce soir, sous la supervision de l’armée libanaise et avec la participation de forces de sécurité palestiniennes qui collaboreront pour sécuriser les camps. Selon Al-Hadath, le désarmement des factions sera progressif et coordonné avec les autorités libanaises.

Un processus longtemps bloqué

Annoncé dès le printemps, le plan prévoyait de commencer par les camps de Beyrouth avant de s’étendre au Nord, à la Békaa et enfin au Sud, où Aïn el-Héloué représente le dossier le plus complexe. Mais malgré le volontarisme affiché par le gouvernement libanais et l’Autorité palestinienne, aucune mesure concrète n’avait été prise jusqu’ici.

La visite, ces derniers jours, d’un haut responsable sécuritaire palestinien dépêché par Ramallah a permis de débloquer le processus. Après des réunions avec plusieurs factions au siège de l’ambassade palestinienne à Beyrouth, celui-ci a planifié des tournées dans les camps pour superviser la mise en œuvre effective du désarmement.

Des camps en marge de l’État

Les camps palestiniens constituent depuis des décennies un angle mort de la souveraineté libanaise. Selon l’Unrwa, près de 248.000 réfugiés palestiniens sont enregistrés au Liban, dont environ la moitié vivent dans douze camps officiels. À Bourj el-Barajneh, Chatila ou Mar Elias, la densité urbaine et la promiscuité sont extrêmes.

Historiquement, l’armée libanaise n’y pénètre pas, héritage de l’accord du Caire de 1969, qui transférait la juridiction des camps à l’OLP. Abrogé en 1987, cet accord n’a jamais été remplacé par un cadre opérationnel clair, laissant les factions armées gérer elles-mêmes l’ordre interne.

Selon le Washington Institute, cette autonomie a perduré deux générations, donnant naissance à un maillage de plusieurs milliers de combattants: environ 1.500 hommes pour le Hamas, épaulés par le Jihad islamique et Al-Jamaa al-Islamiyah, mais aussi des groupes longtemps soutenus par le régime syrien comme Fatah al-Intifada.

Quand les armes se retournent contre leurs détenteurs

Si le plan officiel met en avant un impératif de souveraineté, la réalité est plus sombre. Comme l’a documenté Houna Loubnan, les armes palestiniennes ont cessé d’être un simple symbole de résistance.

Dans le camp d’Aïn el-Héloué, elles servent aujourd’hui des logiques mercenaires. Loin de protéger la communauté palestinienne, elles se retournent contre elle et contre l’armée libanaise. En août 2023, le général Abou Achraf al-Armouchi, chef de la Sécurité nationale à Saïda, a été assassiné par des combattants palestiniens.

Depuis, des affrontements récurrents ensanglantent camps et alentours, touchant aussi bien réfugiés que soldats libanais.

Pas d’obstacles majeurs

Pour le général à la retraite Khalil Helou, la donne a changé. Il estime qu’il n’existe pas d’obstacles insurmontables: le Fatah est disposé à coopérer, seules les factions islamistes sont ouvertement opposées.

Le général Helou souligne que la décision conjointe du gouvernement libanais et de l’Autorité palestinienne isole progressivement ces groupes radicaux. Le dossier, copiloté par la Sûreté générale, avance par étapes.

Le rôle attribué aux forces de sécurité palestiniennes, en appui de l’armée libanaise, constitue une nouveauté qui pourrait faciliter la transition. Toutefois, le général Helou n’exclut pas une dissuasion par la force si certaines factions se montrent réticentes, et les détails techniques de la supervision sont flous.

L’ombre du Hezbollah

Reste la question centrale: peut-on désarmer les factions palestiniennes sans aborder l’arsenal du Hezbollah? Pour le Washington Institute, les deux dossiers sont intimement liés. Le parti chiite et l’Iran se sont longtemps appuyés sur des groupes palestiniens comme relais opérationnels contre Israël, mais aussi comme levier dans le jeu politique libanais.

Empêcher le désarmement palestinien reviendrait toutefois à exposer le Hezbollah à un conflit interne impopulaire qu’il souhaite éviter. Sa marge de manœuvre est limitée, d’autant que chaque avancée est surveillée de près par Israël et les États-Unis.

Une fenêtre d’opportunité fragile

Les développements de ce jeudi marquent une première étape tangible après des années de promesses restées lettre morte. La remise d’armes à Bourj el-Barajneh, amorcée cet après-midi, est une percée symbolique. Mais la réussite du processus dépendra de sa capacité à s’étendre aux camps les plus sensibles, notamment Aïn el-Héloué.

Car si les factions palestiniennes livrent aujourd’hui leurs armes au Liban, le pays reste confronté à un défi plus vaste: celui de deux générations de groupes armés installés sur son territoire, dont le démantèlement ne pourra être dissocié ni de l’arsenal du Hezbollah ni des rapports de force régionaux.

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