
L’un des engagements qu’avait pris le président Donald Trump lors de sa campagne présidentielle était l’établissement de la paix et de la prospérité au Proche-Orient. Dans une région aussi mouvementée que le Levant, le passage obligé de toute paix est la stabilité et la sécurité, et donc la lutte contre les factions qui ne peuvent survivre et évoluer que dans un climat de conflit permanent… Autant d’objectifs qui sont particulièrement ambitieux dans cette partie du monde du fait qu’ils ont constamment été, depuis des décennies, dans le collimateur des tenants des aventures guerrières stériles, sous la conduite, aujourd’hui, des mollahs iraniens.
Les bouleversements survenus depuis l’attaque du Hamas contre Israël, le 7 octobre 2023, ont certes débouché en quelques mois sur un affaiblissement notable du camp des jusqu’au-boutistes. La capacité de nuisance de ces derniers n’a toutefois pas été totalement neutralisée. Comment pourrait-elle l’être lorsque les chefs d’orchestre de la déstabilisation régionale continuent de sévir à Téhéran où l’aile radicale de la République islamique, plus spécifiquement le Corps des Gardiens de la révolution, n’a pas baissé les bras, en dépit des durs revers stratégiques subis sur plus d’un front.
Parallèlement aux sévères coups de massue successifs subis par le Hezbollah au Liban, le Hamas à Gaza, les Houthis au Yémen, et la quasi-neutralisation de la «mobilisation populaire» en Irak, force est de relever – cerise sur le gâteau – que «la guerre des douze jours» entre Israël et l’Iran ainsi que les raids américains contre les centrales nucléaires iraniennes ont eu une très lourde conséquence pour la République islamique, à savoir une aggravation de la polarisation sur la scène politique interne… Une polarisation qui va crescendo au sein même du régime, déjà embourbé dans les multiples répercussions des sanctions occidentales.
Un nouvel élément de taille est apparu dans ce contexte iranien ces derniers jours: l’émergence d’un vaste front contestataire – le Front des réformes – regroupant une trentaine de partis, d’organisations et de personnalités de premier plan qui ont rendu publique une feuille de route préconisant une série de réformes particulièrement audacieuses, voire révolutionnaires (dans le bon sens de l’Histoire!). Le document, en onze points, réclame notamment: l’arrêt de l’enrichissement de l’uranium (une ligne rouge pour les Pasdaran); un changement en profondeur de la ligne de conduite du régime en vue d’une ouverture sur le monde et de l’établissement de relations constructives avec l’Occident et les pays du Golfe; l’amendement de la législation sur la femme; l’arrêt de la répression de l’opposition réformatrice; le respect de la liberté d’expression; l’abolition de la censure; l’adoption d’une amnistie générale; la libération des prisonniers politiques; la modification de la rhétorique officielle qui devrait être axée sur les impératifs du développement interne plutôt que sur les considérations d’ordre idéologique…
L’importance de cette feuille de route réside dans le fait qu’elle sape dans la pratique les fondements de la politique répressive et obscurantiste de l’aile radicale du régime. De plus, le document appelle à un «retour à la volonté du peuple», ce qui concrètement constitue une menace pour l’autorité du Guide suprême qui tire son pouvoir d’une prétendue légitimité divine plutôt que de la légitimité populaire. Il n’est donc pas surprenant que les médias et les milieux proches des Pasdaran aient tiré à boulets rouges sur les piliers de ce Front des réformes, rapidement accusés de «trahison». Cette accusation est d’autant plus lourde de conséquences que le Front en question est proche de hautes personnalités connues pour être des ténors du courant réformateur, tels les anciens présidents Mohammed Khatami et Hassan Rouhani, l’ancien ministre des Affaires étrangères Mohammed Jawad Zarif, ainsi que Mir Hussein Moussaoui et Mehdi Karoubi.
Le plus grave sans doute pour l’aile radicale est que ce Front des réformes soutient ouvertement le président iranien, Massoud Pezechkian, qui prône lui aussi une ouverture sur le monde occidental et la relance du dialogue avec les États-Unis. Il y a quelques jours, il avait d’ailleurs critiqué d’une manière à peine voilée les défenseurs de la ligne dure du régime, dénonçant vivement leur opposition à la reprise des négociations avec Washington sur le nucléaire, ce qui lui avait valu de virulentes critiques publiques de la part des milieux des Pasdaran.
Cette fissure qui s’agrandit dans l’édifice du régime des mollahs reflète, à l’évidence, la profonde crise existentielle que traverse aujourd’hui la République islamique. Mais son impact (qui pourrait prendre, si les circonstances le permettent, une dimension historique) dépasse largement le seul cadre iranien. Il pourrait se traduire par une stimulation des conditions objectives susceptibles d’engager réellement la région sur la voie de la stabilité et de l’établissement d’une paix durable, attendue depuis des décennies. L’enjeu serait ainsi le grand passage de la stratégie de l’irrationnel à un pragmatisme salutaire. Reste à espérer que les grands décideurs internationaux respecteront leurs engagements sur ce plan et saisiront cette opportunité de réduire réellement au silence ceux qui s’obstinent à empêcher les peuples levantins de bénéficier, enfin, d’une vie normale et prospère.
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