
La guerre au Soudan a provoqué le pillage massif de musées et la disparition de milliers d’objets archéologiques inestimables, notamment au Musée national de Khartoum. Certaines pièces auraient été acheminées vers le Darfour ou revendues sur le marché noir, tandis que les autorités tentent de les retrouver avec l’aide d’Interpol et de l’Unesco.
Dans la cour du Musée national à Khartoum trône la statue massive du pharaon noir Taharqa, rare vestige des œuvres d'art qui ont été pillées pendant la guerre dans ce haut lieu des antiquités soudanaises.
«Seuls les objets volumineux ou lourds, difficiles à transporter, ont survécu» dans le musée, affirme à l'AFP Rawda Idris, du Comité de protection des musées et sites archéologiques au Soudan.
Autour du pharaon noir, des morceaux de verre et de sculptures jonchent le sol. Quelques statues semblent abandonnées et le toit du musée porte encore les traces de tirs d'obus.
La guerre entre l'armée et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) a éclaté en avril 2023, et au fil des mois, les FSR ont pris progressivement le contrôle de la capitale, dont celui du musée, théâtre de combats.
En mars dernier, après la reprise de Khartoum par l'armée, des archéologues ont pu pénétrer pour la première fois depuis deux ans dans son enceinte.
Hatim el-Nour, ancien directeur de l'Autorité des antiquités, rappelle à l'AFP que le musée abritait «plus de 500 000 pièces couvrant une vaste période historique», comprenant notamment le célèbre royaume de Koush, dirigé par les pharaons noirs.
Le musée, qui conservait des milliers de statues funéraires en pierre ou en bronze, parfois ornées d'or ou de pierres précieuses, a fait l'objet d’un «important pillage», selon Ikhlas Abdel Latif, la directrice des musées à l'Autorité des antiquités.
Sa «chambre d’or», notamment, où étaient exposés «des objets inestimables(...), des pièces en or pur de 24 carats, dont certaines vieilles de près de 8 000 ans» a été «entièrement pillée», a-t-elle indiqué à l'AFP par téléphone.
Selon Mme Abdel Latif, les objets d'art ont été transportés dans des camions vers le Darfour, une vaste région de l’ouest du pays contrôlée quasi totalement par les FSR.
Le gouvernement soudanais, aligné sur l'armée, a accusé les FSR d'avoir volé et détruit des œuvres, qualifiant ces actes de «crime de guerre», ce que les paramilitaires nient.
Si quelques pièces ont refait surface dans des pays voisins comme l’Égypte, le Tchad ou le Soudan du Sud, beaucoup demeurent introuvables.
Les autorités soudanaises, en coordination avec les pays voisins, tentent de repérer et récupérer les pièces arrivées clandestinement à l'étranger, a indiqué à l'AFP un responsable de l'Autorité des antiquités soudanaises.
Les statues koushites, «petites et faciles à transporter», sont particulièrement recherchées sur le marché noir, note Mme Abdel Latif.
Le gouvernement, avec l'aide d'Interpol et de l’Unesco, «surveille tous les marchés», assure-t-elle. À ce jour, aucune pièce de la chambre d’or n’a réapparu, ni dans les ventes aux enchères ni sur les marchés informels.
Contacté par l'AFP, le service spécialisé d’Interpol a confirmé son implication dans les efforts pour retrouver les objets d’art, sans donner plus de détails.
Selon deux sources de l'Autorité, des individus passés en Égypte voisine ont proposé de rendre des antiquités volées contre une compensation financière.
«Des étrangers» ayant en leur possession des objets archéologiques ont par ailleurs été arrêtés dans l’État du Nil, dans le nord du Soudan. «Des enquêtes sont en cours pour déterminer de quel musée proviennent ces antiquités», précise Mme Idris, une procureure.
Fin 2024, l’Unesco a appelé le public à ne pas faire le commerce d'œuvres volées, soulignant leur «valeur historique et matérielle considérable».
«Plus de 20 musées au Soudan ont été pillés», estime Mme Idris, qui évalue les pertes à «110 millions de dollars» (environ 94 millions d’euros).
«Nous ignorons encore l’ampleur des dégâts dans les zones qui n'ont pas été libérées», ajoute-t-elle, en référence aux nombreuses régions encore sous le contrôle des FSR, notamment au Darfour, dans l’ouest du pays.
M. Nour parle aussi de «destructions dans d’autres musées tout aussi importants»: le musée de Nyala, dans le Darfour-Sud, le musée du Sultan Ali Dinar, le plus grand du pays, situé à El-Facher, capitale du Darfour-Nord assiégée par les FSR, ou encore la maison d’Al-Khalifa, à Omdourman, ville voisine de Khartoum.
Les collections du XVIIIe siècle qu’abritait cette maison historique sont aujourd’hui détruites, selon les autorités.
Le musée de Nyala «a été le théâtre de violents combats en raison de sa proximité avec des installations (...) de l’armée», raconte aussi à l’AFP un habitant.
Selon Mme Abdel Latif, il sert désormais de «base militaire» aux FSR.
Par Lobna MONIEB / AFP
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