
Du jamais vu sous la Ve République, bientôt cinq Premiers ministres, et autant de méthodes pour tenter de trouver une majorité à l'Assemblée nationale, seront passés par Matignon depuis 2022.
Dans l'attente du successeur de François Bayrou, renversé lundi au bout de neuf mois, voici les quatre chefs de gouvernement nommés depuis le début du second quinquennat par Emmanuel Macron.
Bayrou, un homme seul
François Bayrou a forcé sa nomination le 13 décembre à Matignon. À peine neuf mois plus tard, il quitte la rue de Varenne, sans avoir su forger de compromis sur la dette, son œuvre promise depuis 30 ans.
Entouré d'un cercle restreint de fidèles, pilote de sa propre communication, le centriste renvoie l'image d'un gouvernant solitaire et inflexible, pris en défaut sur ce qui aurait dû être son principal atout: le dialogue.
Il parvient à faire passer le budget 2025, grâce à la neutralité des socialistes, auxquels il a promis de revoir la réforme des retraites.
Mais il multiplie les bévues, risquant de faire dérailler les négociations avec le PS, comme lorsqu'il évoque un «sentiment» de «submersion» migratoire ou impose des conditions aux concertations sur les retraites, qui se soldent par un échec cinglant pour ce grand défenseur de la «démocratie sociale».
Désireux de ne pas subir le même sort que Michel Barnier, il sollicite avant même les débats budgétaires, un vote de confiance, le 8 septembre, qui le fait tomber. «Il veut écrire sa légende», estime une ministre.
Barnier, le «montagnard»
L'ancien ministre de Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, loué pour son expérience de négociateur du Brexit, est nommé le 5 septembre 2024.
Censuré trois mois plus tard le 4 décembre par les voix jointes des députés de la gauche et de l'extrême droite, avec laquelle il a tenté en vain de discuter, Michel Barnier savait ses jours comptés, contraint en outre par Bruxelles de présenter un budget d'économies pour combler le déficit.
Il a vu aussi sa méthode «d'écoute, de respect, de dialogue» mise en échec face aux demandes contradictoires des oppositions et de sa coalition de la droite et du centre, traversée par des dissensions.
Cultivant un style sobre et «old fashion», l'ex-Premier ministre aimait à 73 ans (quatre mois de plus que François Bayrou) se présenter comme «un montagnard» qui avance «pas à pas» et «sans esbroufe», quand son prédécesseur, Gabriel Attal, communiquait beaucoup.
Attal, le «roi de la com'»
Le macroniste Gabriel Attal, nommé le 9 janvier 2024 au terme d'une ascension spectaculaire, a été coupé dans son élan par la dissolution, même s'il a gagné un sursis rue de Varenne puisque Emmanuel Macron n'a accepté sa démission que le 16 juillet, plus d'un mois plus tard.
Il a géré ensuite les «affaires courantes» du pays pendant plusieurs semaines à la faveur des Jeux olympiques.
Auréolé d'un profil plus «politique» et communicant, qu'Élisabeth Borne, le plus jeune Premier ministre de la Ve République, âgé alors de 35 ans, impose dès la passation sa marque: se déplacer souvent, s'exprimer beaucoup.
Trop selon certains, s'attirant les foudres des oppositions qui l'accusent d'accaparer les médias et de «baratiner».
Passé du socialisme au macronisme, il emprunte des codes sarkozystes - la «France qui se lève tôt» et «l'autorité» à l'école -, pour tenter de séduire la droite au-delà de sa majorité relative, plus large à l'époque que le «socle commun» de Michel Barnier.
Borne, la «bâtisseuse»
Élisabeth Borne, nommée le 16 mai 2022, âgée alors de 63 ans, est la deuxième femme à accéder à Matignon après Édith Cresson.
Mais elle n'a pas survécu à deux projets de loi imposés dans la douleur, avec le soutien fluctuant et partiel de la droite, sur les retraites et l'immigration, ce dernier ayant été adopté avec les voix de l'extrême droite.
Femme de dossiers peu portée sur la communication, elle se présentait comme une «infatigable bâtisseuse» de «majorités de projets», habitée par une histoire personnelle douloureuse qui lui faisait tout supporter, sans «assignation».
«Notre démarche tient en trois mots: dialogue, compromis, ouverture», disait-elle, citant régulièrement l'ancien Premier ministre Michel Rocard, privé lui aussi de majorité en 1988, et qui visait des «majorités stéréo», une fois avec la droite modérée, une autre avec les communistes.
Par Anne RENAUT/AFP
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