
Chrystelle, pour qui la musique est un espace de liberté, partage avec Ici Beyrouth ses réflexions autour de son premier EP, Middle. L’artiste, aux racines libanaises, françaises et ivoiriennes, donne libre cours à son authenticité et à sa sensibilité, à travers des chansons intimes et universelles.
Pour Chrystelle, la musique est un souffle de liberté. À l’occasion de la sortie de son premier EP, Middle, l’artiste aux racines libanaises, françaises et ivoiriennes se confie à Ici Beyrouth. Entre émotions brutes et mélodies feutrées, elle dévoile un univers où l’authenticité et la sensibilité se rencontrent.
La déchirure, l’entre-deux. Est-ce une inspiration ou un cap à franchir?
Middle est une inspiration, clairement, mais ce n’était pas prémédité. J’ai toujours été un peu dans un entre-deux. Déjà, je suis l’enfant du milieu: j’ai une grande sœur et un petit frère. J’ai grandi au croisement de plusieurs cultures, entre trois continents différents: l’Afrique, l’Europe et le Moyen-Orient. En termes de style musical, c’est la même chose. Je n’ai jamais été complètement pop, ni totalement chanson française, ni autre chose non plus. J’ai toujours navigué dans cet entre-deux. Pendant longtemps, j’ai cru qu’il fallait absolument quitter cet endroit, atteindre un sommet ou une direction précise: en haut, en bas, à droite, à gauche. Finalement, je n’ai jamais réussi à vraiment en sortir. J’ai donc appris à apprivoiser cet espace, plutôt qu’à le fuir. C’est ce que je raconte dans Middle. J’y parle du fait de ne pas être extrêmement belle, riche ou exceptionnelle, mais plutôt quelqu’un de simple et naturel. Je veux dire que la normalité est une force, et qu’il ne faut pas chercher à la modifier à tout prix. En tant que femme au Moyen-Orient, il y a une forte pression liée à la beauté et à la perfection. Dans le show-business, c’est encore plus marqué: beaucoup de chanteuses refont leur visage pour correspondre aux standards, avec les mêmes lèvres, les mêmes joues, le même nez. Vieillir est presque interdit.
Dans Middle, je crie «non» à tout cela. Pourquoi devrions-nous être parfaites? Qui a imposé ces normes? Souvent, c’est nous-mêmes qui nous les imposons. J’ai grandi avec ce complexe, ce besoin constant d’être «plus», d’être «autre». Aujourd’hui, je dis stop. Je suis Middle, et je m’accepte comme ça. D’ailleurs, le mot Middle vient de mon tout premier casting à Paris, à 17 ans. À la fin, le directeur de casting m’a simplement dit: «Écoute, c’est un peu… middle.» Ce mot m’a marquée profondément. Je ne savais pas s’il voulait dire que c’était bien ou pas. J’ai développé un complexe à partir de ça: être ni bonne, ni mauvaise. J’ai longtemps tout fait pour sortir de cet état et devenir «meilleure», jusqu’au jour où, assise derrière mon piano, les mots me sont venus: «Oui, je suis Middle.» À ce moment-là, le mot a pris un autre sens. Pourquoi vouloir absolument quitter cette zone, alors qu’elle fait partie de moi?
Qu’est-ce qui t’inspire aujourd’hui?
Beaucoup de choses m’inspirent, mais principalement mon vécu. Ce sont des émotions fortes que je ressens dans des situations particulières. Quand je traverse une période de tristesse, de désarroi ou de questionnement, je me mets au piano. J’essaie alors de trouver des mots pour apporter un peu de beauté à la situation que je vis.
L’inspiration peut venir d’une simple vidéo sur Instagram qui me touche, ou de quelque chose de plus profond, comme le fait d’avoir dû quitter mon pays et de vivre loin du Liban pendant plusieurs années. Ma famille est aussi une source d’inspiration, et particulièrement mon père que j’admire beaucoup. Il y a aussi des sujets plus lourds, comme la maladie mentale, qui a touché mes proches et m’a beaucoup marquée. J’ai voulu en parler dans la chanson J’ai mal au monde, pour mettre en relief ces réalités encore taboues.
Peux-tu partager avec nous le processus d’écriture et de composition?
Mon processus est presque toujours le même: j’écris dans l’urgence émotionnelle. Quand quelque chose me bouleverse, je note mes idées immédiatement, sur un carnet ou sur mon téléphone. En même temps, une mélodie me vient que j’enregistre souvent a cappella. Je commence généralement par un couplet et un refrain, puis je développe ensuite la structure complète du morceau. Quand je suis chez moi, je m’assois au piano et je fais la même chose en direct: accords, mots, mélodie, tout sort en même temps, de façon très spontanée.
Mes chansons sont de la pop alternative, avec une touche orientale dans les mélodies. Je ne le fais pas exprès, mais c’est quelque chose qui ressort naturellement. La production est volontairement épurée pour mettre la voix et les textes au centre. Les mots sont plus importants que la musique pour moi dans ce processus, car c’est le message qui prime. Je vois mes chansons comme une bulle dans laquelle je propose d’entrer. Mon but n’est pas d’être une superstar, mais simplement que mes chansons touchent les gens et les accompagnent dans leurs propres épreuves, comme elles m’ont aidée moi-même.
Quel genre de musique pour cet EP et quelle est la motivation derrière sa sortie dans le monde chaotique d’aujourd’hui?
Cet EP représente un accomplissement personnel. J’ai tout produit moi-même, en choisissant les bonnes personnes pour m’accompagner. Le sortir aujourd’hui me permet de poser une base solide pour la suite: l’album prévu pour début 2026, et surtout le concert. J’ai hâte de voir ces chansons prendre vie sur scène. Mes chansons parlent aussi du monde actuel, mais à travers mon prisme. Je parle par exemple de la maladie mentale. J’évoque aussi l’éloignement de mon pays, le Liban dans Alors je reste, ou encore l’homosexualité dans Comme un garçon, où je raconte l’histoire d’un amour impossible. Pour moi, la musique est thérapeutique. Elle me permet de transformer la douleur en quelque chose de beau. Sans cette transformation, la vie serait insupportable.
D’autres projets qui mijotent?
L’album arrive début 2026 et contiendra les titres de l’EP, ainsi que d’autres chansons inédites. Je travaille également sur le live: monter un groupe, créer le show lumière, tout ce qu’il faut pour donner une vraie vie scénique à ces morceaux.
Quelle serait ta chanson préférée dans cet EP et pourquoi?
Ma chanson préférée de l’EP est J’ai mal au monde. Elle parle de la maladie mentale et illustre parfaitement ce que j’essaie de faire avec ma musique: trouver de la beauté dans la douleur. Dans ce morceau, je me mets à la place d’un proche atteint de bipolarité. J’essaie de comprendre comment il perçoit le monde, plutôt que de le juger de l’extérieur. Cet exercice m’a permis d’accepter la maladie, et surtout la personne qui en souffre.
Une phrase qui te vient à l’esprit?
Je n’ai pas de slogan ou de citation préférée, mais il y a une phrase que je me répète souvent: «Tout ira bien.» Parfois, tout semble tellement difficile qu’on ne sait plus où aller. Cette phrase me rassure et reflète ce que j’essaie de transmettre dans mes chansons: un message d’espoir et de réconfort.
Le clip de Middle sortira le dimanche 14 septembre.
Commentaires