Tierno Monénembo défie la junte et perd son manuscrit
L’écrivain guinéen Tierno Monénembo s’exprime lors d’un entretien à Conakry, le 6 septembre 2025. ©Patrick MEINHARDT / AFP

À quelques jours d’un référendum en Guinée, l’écrivain Tierno Monénembo dénonce les dérives autoritaires de la junte au pouvoir. Victime d’un cambriolage, il accuse les autorités d’avoir volé trois années de travail littéraire.

À quelques jours d’un référendum constitutionnel en Guinée, l’écrivain Tierno Monénembo conspue une «mascarade» qu’il boycottera et dénonce sans relâche les dérives autoritaires de la junte à la tête de son pays, quitte à devoir «mourir pour ses idées».

Dans le jardin luxuriant d’un bar de Conakry qu’il affectionne, l’auteur guinéen, reconnu comme l’un des plus grands écrivains africains francophones et récompensé de nombreux prix, revient dans un entretien avec l’AFP sur son long engagement politique.

Fin observateur des remous que traversent son pays et l’Afrique, il vilipende régulièrement dictateurs et élites corrompues dans ses chroniques pour le journal satirique guinéen Le Lynx et pour l’hebdomadaire français Le Point.

À 78 ans, l’auteur des Crapauds-brousse et des Écailles du Ciel, qui n’a cessé d’explorer l’Histoire du continent, n’a rien perdu de sa verve contre le pouvoir.

Son sourire affable et ses touches d’humour ne sauraient cacher la dureté de ses propos contre la junte qui a pris le pouvoir en 2021 en Guinée, lorsqu’elle a chassé le président civil élu Alpha Condé.

Contempteur du pouvoir

Selon l’écrivain, le général Mamadi Doumbouya, à la tête du pays, cherche à «légitimer son putsch et accaparer le pouvoir aussi longtemps que possible», en organisant ce référendum le 21 septembre.

Des élections présidentielle et législatives sont attendues dans les prochains mois et tout semble indiquer que le général Doumbouya sera candidat, en dépit de sa promesse de rendre le pouvoir à des civils.

«La dictature, c’est l’injustice au stade suprême. La vie est remise en cause tous les jours, les droits n’existent pas», s’insurge-t-il.

Tierno Monénembo est aujourd’hui un des derniers contempteurs du pouvoir à parler librement depuis le sol guinéen, alors que les voix d’opposition ont été réduites à leur plus faible expression.

Depuis l’arrivée des militaires au pouvoir, plusieurs partis politiques ont été suspendus, les manifestations, interdites depuis 2022, sont durement réprimées, et de nombreux dirigeants de l’opposition ont été arrêtés, condamnés ou poussés à l’exil.

L’écrivain dénonce aujourd’hui des crimes «presque quotidiens» et alerte sur le phénomène des disparitions forcées d’opposants: «On ne sait même pas où sont les gens et si les gens vivent encore ou pas».

«Ils arrêtent tout, même le cours de l’Histoire», souffle-t-il.

Manuscrit volé

Lors d’un cambriolage chez lui en mai 2024, seul son «vieil ordinateur de rien du tout» a été subtilisé. Un manuscrit qu’il s’apprêtait à envoyer à son éditeur y était sauvegardé. Trois années d’écriture se sont ainsi volatilisées…

Ce vol, il l’a vécu comme une «mutilation»: «Mettez-moi en prison, tuez-moi. Mais pourquoi me voler un manuscrit?».

Ce fut, selon lui, un supplice pire que la mort. Et il accuse les autorités guinéennes d’avoir commandité le vol de son manuscrit.

«Un petit voleur de quartier ne peut pas bouder une récompense de 5.000 euros», estime-t-il.

Des jeunes se sont mobilisés et ont sillonné le quartier pour tenter de retrouver son manuscrit. Peine perdue.

Lui qui a fui le pouvoir du dictateur Ahmed Sékou Touré en 1969 le promet: «J’ai décidé de ne plus jamais fuir une dictature».

Son exil, qui l’a mené au Sénégal, en France et en Côte d’Ivoire, a façonné son œuvre.

Étudiant en biochimie en France dans les années 1970, il écrit son premier roman pour «abattre» le régime de Sékou Touré. Depuis, il a publié plus d’une dizaine d’ouvrages.

Alors que le pays vit au rythme des nouvelles de disparitions forcées, l’écrivain défie les autorités : «S’ils veulent me tuer, qu’ils me tuent».

«Mourir pour ses idées, c’est une très belle mort pour un écrivain», lance-t-il.

La démocratie, pente naturelle de l’Histoire

 

Prix Renaudot 2008 pour Le Roi de Kahel, M. Monénembo regrette que la France demeure «silencieuse, pour ne pas dire complice» devant les «dérives dictatoriales qui s’opèrent aujourd’hui», alors que les relations de Paris avec les trois autres juntes militaires d’Afrique de l’Ouest (Mali, Niger, Burkina Faso) sont dégradées.

Seul semble trouver grâce à ses yeux le «peuple de Guinée», «courageux», qui a «toujours lutté, mais pas encore gagné» contre les répressions subies, selon lui, depuis l’indépendance du pays en 1958.

L’écrivain reste optimiste et veut croire que la démocratie est «inévitable»: «On n’a jamais vu un peuple revendiquer la dictature».

Après des mois de «black-out», il a retrouvé la force d’écrire et espère finir son nouveau roman d’ici la fin de l’année.

Le thème sera le même, son enfance au moment de l’indépendance guinéenne, mais «on ne peut pas réécrire un roman», souligne-t-il. «On ne plonge pas deux fois dans la même rivière».

Avec AFP

Commentaires
  • Aucun commentaire