Syrie: la province de Soueïda entre le marteau et l’enclume
Des Syriens se rassemblent pour protester contre la situation humanitaire dans la ville à majorité druze de Soueïda, le 28 juillet 2025. ©Shadi al-Dubaisi / AFP

Au sud de la Syrie, la province druze de Soueïda est devenue depuis l’été le théâtre d’affrontements sanglants et de rivalités géopolitiques.

Les violences de juillet, qui ont opposé milices druzes, clans bédouins et forces gouvernementales, ont profondément ébranlé la région, laissant derrière elles des milliers de morts et des accusations de massacres.

À l’approche de l’automne, le pouvoir syrien, sous la présidence d’Ahmad el-Chareh, tente de reprendre la main dans une zone où son autorité est contestée et où Israël s’est imposé comme acteur incontournable.

En ce mois de septembre, plusieurs initiatives ont marqué un tournant. Damas a annoncé le retrait de ses armes lourdes du Sud et la mise en place de mesures politiques destinées à calmer les tensions, tandis qu’Israël a consolidé ses liens avec les milices druzes locales.

Ces développements s’inscrivent dans un contexte de négociations accélérées entre la Syrie et Israël, menées sous l’égide des États-Unis, qui espèrent afficher un succès diplomatique lors de l’Assemblée générale des Nations unies. Mais derrière les annonces, la province reste fracturée et la méfiance demeure.

Retrait des armes lourdes et plan américano-jordanien

En septembre, Damas a tenté d’apaiser la situation en annonçant le retrait de ses armes lourdes du sud du pays. Selon un responsable militaire cité par l’AFP, ce retrait couvrait une zone allant jusqu’à une dizaine de kilomètres au sud de la capitale.

Cette décision s’inscrivait dans le cadre d’une feuille de route appuyée par les États-Unis et la Jordanie, visant à instaurer une zone démilitarisée et à réduire les risques d’escalade. Le ministre des Affaires étrangères, Asaad al-Chaibani, a présenté ces mesures comme une étape vers des «ententes sécuritaires» avec Israël.

Le plan ne se limitait pas au volet militaire. Il prévoyait également la nomination d’un chef de la sécurité intérieure à Soueïda issu de la communauté druze, la mise en place d’un mécanisme de réconciliation interne et des compensations pour les victimes de la crise. Washington et Amman ont salué ces décisions comme des avancées «historiques» et promis de suivre de près leur mise en œuvre.

Israël renforce son rôle auprès des Druzes

Dans le même temps, Israël a accru son implication dans la province. D’après Reuters et le Times of Israel, Tel-Aviv a soutenu activement les milices druzes, fragilisées par leurs divisions internes.

Selon Reuters, deux figures druzes de premier plan ainsi qu’une source occidentale affirment que l’État hébreu a livré des armes et des munitions et versé des salaires à environ 3.000 combattants locaux. Ces informations n’ont pas été officiellement confirmées par les autorités israéliennes, mais l’armée a revendiqué ses frappes de septembre contre des positions syriennes, les justifiant par la défense des druzes et le respect de la zone de sécurité imposée dans le Sud.

Cette approche trouve un écho jusque dans les cercles diplomatiques américains. Tom Barrack, l’envoyé spécial des États-Unis pour la Syrie, a salué sur X le rôle du leader druze libanais Walid Joumblatt, qu’il remercie pour «sa sagesse et son statut incomparable dans l’art de canaliser les points de vue des leaders druzes».

Tom Barrack insiste sur l’idée d’une communauté druze capable de prospérer au sein d’une Syrie unifiée, tout en vivant en coopération avec ses «cousins» de la région, malgré les frontières politiques.

Négociations accélérées sous pression américaine

Ces évolutions à Soueïda ont directement pesé sur les négociations israélo-syriennes. Sous la pression de Washington, Damas a accepté d’accélérer les discussions entamées depuis le printemps, dans l’espoir d’arracher un accord sécuritaire limité avant l’Assemblée générale des Nations unies.

L’administration Trump, soucieuse de présenter une réussite diplomatique, a fait de ces pourparlers une priorité. Les discussions portent essentiellement sur un retrait partiel d’Israël des zones conquises depuis la chute du régime de Bachar el-Assad en décembre 2024, sur la restauration de la zone tampon définie en 1974 et sur la cessation des incursions israéliennes.

Mais la question du Golan demeure exclue du champ des négociations. Céder sur ce point équivaudrait à un suicide politique pour le président Ahmad el-Chareh.

Le média américain Axios rapporte de son côté que le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, souhaiterait organiser une rencontre directe avec M. Chareh en marge de l’Assemblée générale à New York. Si elle se concrétisait, ce serait une première rencontre historique entre les deux dirigeants. Mais, selon les mêmes sources, la probabilité qu’elle se produise reste très faible, tant la méfiance demeure ancrée et les divergences profondes.

Malgré la médiation internationale, le climat reste empoisonné par une profonde défiance. Israël soupçonne le nouveau pouvoir syrien de continuer d’entretenir des liens troubles avec des mouvements islamistes, tandis que Damas accuse Tel-Aviv d’exploiter la crise druze pour affaiblir son autorité et encourager les tendances séparatistes. 

Ainsi, au mois de septembre, Soueïda illustre les paradoxes de la Syrie post-Assad: un pouvoir contraint de composer avec son ennemi juré sous l’œil des Américains, une province déchirée entre loyauté nationale et revendications identitaires, et une diplomatie israélienne qui avance ses pions à la faveur du chaos. Dans ce Sud instable, chaque concession semble repousser un embrasement immédiat, mais aucun accord ne garantit encore la paix.

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