
Le procès du réseau dit de «l’Escobar du Sahara», impliquant le trafiquant international Ahmed Ben Ibrahim et plusieurs personnalités marocaines, a été reporté au 2 octobre. Entre accusations croisées, témoignages inattendus et révélations en cascade, ce dossier secoue le monde politique, sportif et sécuritaire au Maroc.
La salle d’audience du tribunal de Casablanca affichait une tension particulière, jeudi. Le procès du réseau dit de «l’Escobar du Sahara», du nom du baron de la drogue Ahmed Ben Ibrahim, a une nouvelle fois été reporté. En cause: l’absence pour raisons médicales d’un des principaux accusés, l’ancien président du conseil de la Région de l’Oriental, Abdenbi Bioui, actuellement hospitalisé après une opération chirurgicale, ont annoncé ses avocats. La cour a renvoyé l’audience au 2 octobre.
Parmi les témoins présents figurait la chanteuse marocaine Latifa Raâfat. Appelée à la barre en tant qu’ex-épouse d’Ahmed Ben Ibrahim, elle a répété n’avoir jamais eu connaissance des activités criminelles de son ancien mari, ni de ses liens supposés avec certaines figures politiques et économiques. C’était la première fois que l’artiste, sollicitée à plusieurs reprises, répondait officiellement à la convocation de la justice.
Le réseau
Au cœur de cette affaire: Ahmed Ben Ibrahim, surnommé «l’Escobar du Sahara». D’origine maroco-malienne, il est considéré comme l’un des plus puissants trafiquants de drogue d’Afrique. Autour de lui gravitent des personnalités de premier plan: Saïd Naciri, ancien président du Wydad de Casablanca et figure politique, Abdenbi Bioui, ex-président de la Région de l’Oriental, mais aussi des responsables de la police, de la gendarmerie, des notaires et des hommes d’affaires.
Le parquet les soupçonne d’avoir participé, directement ou indirectement, à un vaste réseau de trafic de stupéfiants et de blanchiment d’argent, actif depuis plus d’une décennie. Les révélations de l’hebdomadaire français Jeune Afrique à l’automne dernier ont mis le feu aux poudres, en exposant pour la première fois des liens présumés entre des élus, des opérateurs économiques marocains et le baron du trafic de cocaïne.
Accusations croisées
Selon l’enquête, Ahmed Ben Ibrahim et ses associés auraient organisé, entre 2010 et 2020, l’acheminement de tonnes de drogue depuis les côtes de Saïdia et les zones désertiques du sud du Maroc vers d’autres pays africains, à raison de trois à quatre opérations par an. Derrière ces cargaisons, un réseau structuré, bénéficiant de protections et de complicités supposées au plus haut niveau.
Arrêté au Maroc en 2019 et condamné à dix ans de prison pour trafic international de stupéfiants, Ben Ibrahim est aujourd’hui incarcéré à El-Jadida. S’il ne nie pas ses activités criminelles, il affirme être la victime d’un complot, accusant certains de ses anciens partenaires de l’avoir trahi et dépouillé d’une partie de sa fortune. Dans une logique de «terre brûlée», le baron aurait livré aux enquêteurs les noms de personnalités influentes, provoquant une série d’interpellations retentissantes.
Face à ces accusations, plusieurs prévenus, dont Saïd Naciri, rejettent en bloc toute implication. L’ancien président du Wydad affirme être la cible de faux témoignages et réclame, à chaque audience, la confrontation avec ses accusateurs. Il conteste également des enregistrements téléphoniques évoquant une prétendue intervention du ministre de la Justice pour faciliter le transfert du baron vers le Mali, estimant qu’il s’agit de manipulations.
Le personnage central
Le parcours d’Ahmed Ben Ibrahim illustre l’ascension fulgurante d’un trafiquant devenu incontournable. D’abord actif dans le commerce de voitures et d’or, il s’est tourné vers la cocaïne, qu’il faisait venir d’Amérique latine vers l’Afrique de l’Ouest. En quelques années, il s’est imposé comme l’un des plus grands barons du continent, accumulant une fortune considérable.
Il a investi dans des biens luxueux: une île privée en Guinée, des appartements au Brésil et en Russie (perdus depuis la guerre en Ukraine), des terres en Bolivie et une villa de grand standing à Casablanca. Des avoirs qu’il estime avoir été confisqués ou détournés par d’anciens alliés.
Ce n’est pas son premier face-à-face avec la justice. En 2015, il avait déjà été arrêté en Mauritanie, à la suite d’un mandat d’arrêt international lancé par Interpol. Condamné à quatre ans de prison, il avait regagné le Maroc après sa libération, déterminé à retrouver son rang sur le marché de la drogue.
Rendez-vous le 2 octobre
Le procès en cours à Casablanca devait apporter des éclaircissements, mais il avance au ralenti, entre reports d’audiences et batailles procédurales. Les avocats de la défense insistent sur la nécessité de respecter les droits des accusés, notamment par la présence effective de Bioui lors des confrontations avec les témoins. Le parquet, lui, presse pour que les auditions se poursuivent afin d’éviter l’enlisement.
La prochaine audience, prévue le 2 octobre prochain, devrait permettre d’entendre à nouveau des témoins clés, parmi lesquels Latifa Raâfat. Mais à mesure que les révélations s’accumulent, de nombreux observateurs s’attendent à ce que d’autres noms, issus du monde politique, sécuritaire ou économique, émergent dans ce dossier tentaculaire.
Cette affaire illustre la manière dont le crime organisé a su, au fil des années, tisser des liens complexes avec des pans entiers de la société marocaine. Et laisse planer une question: jusqu’où iront les révélations de «l’Escobar du Sahara»?
Dates clés
• 2015: Arrestation en Mauritanie, condamné à 4 ans de prison après un mandat Interpol.
• 2019: Arrestation à l’aéroport de Casablanca, condamné à 10 ans pour trafic international de drogue.
• Septembre 2023: Jeune Afrique révèle l’implication présumée de personnalités marocaines.
• Décembre 2023: Arrestation de dizaines de personnes après les dénonciations de Ben Ibrahim.
• Mai 2025: Saïd Naciri nie en bloc les accusations, réclamant confrontations.
• 18 septembre 2025: Report du procès au 2 octobre, en raison de l’absence médicale d’Abdenbi Bioui.
Commentaires