
Dans un mouvement stratégique inattendu, le Pakistan a étendu son «parapluie nucléaire» à l’Arabie saoudite, signant un accord de défense qui pourrait redéfinir les équilibres géopolitiques au Moyen-Orient et en Asie du Sud. Conclu à Riyad le 17 septembre entre le prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane et le Premier ministre pakistanais Shehbaz Sharif, le traité engage les deux pays à une défense mutuelle en cas d’agression.
Des responsables des deux capitales ont confirmé que l’accord stipule que toute attaque dirigée contre l’un des deux pays sera considérée comme une attaque contre les deux. Le ministre pakistanais de la Défense, Khawaja Asif, a précisé que l’arsenal nucléaire d’Islamabad «pourra être mis à disposition» de l’Arabie saoudite si la situation l’exige. Des analystes proches de la cour royale saoudienne ont insisté sur le fait que la protection nucléaire constitue «un élément central» de ce nouvel accord de sécurité.
Qu’est-ce qu’un «parapluie nucléaire»?
Le «parapluie nucléaire» désigne une garantie de sécurité par laquelle un État doté d’armes nucléaires s’engage à défendre un allié, pouvant aller jusqu’à l’utilisation de l’arme atomique en représailles si l’allié venait à être attaqué.
Il s’agit d’une forme de «dissuasion étendue» destinée à décourager toute agression potentielle. Le concept n’est pas sans rappeler l’époque de la Guerre froide, lorsque les États-Unis avaient promis leur protection nucléaire aux membres de l’Otan ainsi qu’au Japon et à la Corée du Sud.
Dans les faits, ces garanties restent souvent volontairement ambiguës. Elles entretiennent une incertitude stratégique, rendant difficile pour un éventuel agresseur d’évaluer si une riposte nucléaire interviendrait, renforçant ainsi la dissuasion. Cependant, elles ne détaillent jamais les scénarios exacts ni les seuils ou les modalités de commandement précis.
Le Pakistan, puissance nucléaire inattendue
Le Pakistan fait partie des neuf États seulement dans le monde à posséder l’arme nucléaire. Selon le Bulletin of the Atomic Scientists et l’Arms Control Association, son arsenal compterait environ 170 ogives, un niveau comparable à celui de l’Inde mais bien inférieur à celui des États-Unis ou de la Russie, qui disposent chacun de plusieurs milliers d’armes.
Islamabad a également développé une gamme variée de vecteurs allant de missiles balistiques et de croisière aux avions de combat.
Selon l’Arms Control Association, la doctrine nucléaire pakistanaise a traditionnellement été conçue pour contrer la supériorité militaire conventionnelle de l’Inde, considérant les armes atomiques comme le dernier rempart face à un rival historique responsable de guerres et de crises répétées depuis l’indépendance en 1947.
Le Pakistan développe aussi l’énergie nucléaire civile. Selon la World Nuclear Association et le World Nuclear Industry Status Report, le pays exploite actuellement six réacteurs nucléaires commerciaux, d’une capacité totale de 3,3 gigawatts, fournissant 17 à 18% de l’électricité nationale. Mais c’est bien la dimension militaire du programme qui est au cœur des nouvelles considérations stratégiques de l’Arabie saoudite.
Pourquoi l’Arabie saoudite y a-t-elle recours?
Pendant des décennies, l’Arabie saoudite s’est appuyée principalement sur les États-Unis pour sa protection, en achetant des systèmes d’armes sophistiqués et en bénéficiant des engagements sécuritaires américains dans le Golfe.
Mais l’évolution des priorités américaines et l’instabilité régionale ont incité Riyad à explorer d’autres options de défense.
Le pacte de défense signé en septembre survient quelques jours seulement après la frappe israélienne au Qatar ayant visé des dirigeants du Hamas, provoquant une onde de choc dans les capitales du Golfe. Il fait également suite à un court mais non moins violent conflit en mai entre le Pakistan et l’Inde, qui a fait plus de 70 victimes.
Face à ces tensions, les dirigeants saoudiens semblent vouloir s’assurer que le Royaume ne se retrouvera pas exposé si les hostilités dans la région venaient à s’intensifier.
Par ailleurs, il est bien établi que l’Arabie saoudite a largement soutenu financièrement le programme nucléaire pakistanais dans ses premières années.
Les analystes évaluent les risques
L’annonce de ce pacte a suscité un vif débat parmi les experts en défense. Pour certains, le «parapluie nucléaire» constitue un outil de dissuasion majeur, envoyant un signal clair à des adversaires comme l’Iran ou Israël: l’Arabie saoudite dispose désormais d’un soutien crédible en sus de ses forces militaires conventionnelles. En augmentant le coût potentiel d’une agression, cet accord pourrait renforcer la dissuasion tout en laissant davantage de marge à la diplomatie.
D’autres, en revanche, estiment que cette promesse pourrait être davantage symbolique que réelle. Le commandement et le contrôle des armes nucléaires pakistanaises restent fortement centralisés à Islamabad, rendant incertain le risque que le pays accepte une riposte nucléaire pour un autre État. Pour ces analystes, la crédibilité de la garantie repose moins sur les déclarations publiques que sur la préparation opérationnelle et la détermination politique.
Enfin, ce type d’accord soulève des inquiétudes majeures quant à l’avenir du régime mondial de non-prolifération. En s’appuyant sur l’arsenal nucléaire d’un État non-signataire du TNP, l’Arabie saoudite brouille les lignes directrices du traité et ouvre la voie à des arrangements bilatéraux qui pourraient éroder les normes établies. Ce précédent, s’il se confirme, risque d’encourager d’autres États à contourner les mécanismes multilatéraux, exacerbant ainsi les tensions dans un contexte régional déjà instable.
Implications pour la course nucléaire
Le pacte entre le Pakistan et l’Arabie pourrait bien rebattre les cartes du jeu nucléaire au Moyen-Orient. Alors qu’Israël entretient une politique d’ambiguïté nucléaire, il est largement admis qu’il possède son propre arsenal. L’Iran, de son côté, développe sa capacité nucléaire civile grâce à un accord renforcé avec la Russie. Des responsables iraniens, dont le chef de l’Organisation de l’énergie atomique d’Iran (AEOI), Mohammad Eslami, annoncent que l’Iran et la Russie construiront huit nouvelles centrales nucléaires sous ces accords, l’objectif étant d’atteindre 20 gigawatts de capacité nucléaire d’ici 2040.
Partant, si Riyad bénéficie désormais d’un soutien explicite d’un allié doté de l’arme nucléaire, l’Iran et Israël pourraient se sentir contraints de durcir leurs postures de dissuasion.
L’accord entraîne également des répercussions en Asie du Sud. L’Inde, qui entretient des liens énergétiques solides avec l’Arabie saoudite, suit de près la situation. Bien que les responsables saoudiens assurent que leur relation avec New Delhi reste «plus solide que jamais», le rapprochement avec le Pakistan pourrait fragiliser l’équilibre délicat que le Royaume entretient entre ces deux puissances rivales.
Reste à savoir si le parapluie nucléaire pakistanais constituera une véritable garantie ou ne sera qu’une simple assurance symbolique. Sa crédibilité dépendra de la capacité d’Islamabad et de Riyad à afficher leur détermination et préparation.
Si les adversaires perçoivent l’accord comme sérieux, il pourrait renforcer la dissuasion et réduire les risques d’escalade directe. Dans le cas contraire, il pourrait accroître les risques de malentendus et les erreurs de calculs.
Une chose est sûre: ce pacte marque un tournant majeur dans la géopolitique du Moyen-Orient, propulsant l’arsenal nucléaire pakistanais au cœur de la stratégie de sécurité de l’Arabie saoudite.
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