
Tous les ans, à la fin du mois de septembre, Washington se retrouve confronté à une échéance cruciale: l’adoption du budget fédéral pour l’année fiscale à venir. Lorsque la Maison-Blanche et le Congrès ne parviennent pas à s’entendre, un scénario redouté peut se produire: le «government shutdown».
Ce terme, devenu familier des observateurs de la politique américaine, désigne la fermeture partielle des administrations fédérales faute de crédits votés. Si la perspective d’un nouveau blocage est évoquée en 2025, comprendre ce mécanisme implique de revenir sur son fonctionnement, ses précédents et ses conséquences potentielles.
Qu’est-ce qu’un shutdown?
Le fonctionnement budgétaire américain repose sur l’adoption par le Congrès de 12 lois de finances annuelles, appelées «appropriations bills», qui définissent les crédits alloués aux agences fédérales.
En vertu de l’Antideficiency Act, adopté en 1884 puis amendé en 1950, aucune dépense publique discrétionnaire (c’est-à-dire soumise au choix et à l’approbation annuelle du Congrès) ne peut être engagée sans approbation parlementaire.
Lorsque ces lois ne sont pas adoptées, ou qu’aucun accord provisoire n’est trouvé via une loi de financement temporaire (continuing resolution), les agences fédérales doivent cesser toute activité jugée «non essentielle» – une situation qui porte le nom de «government shutdown».
Certaines fonctions demeurent cependant actives: la sécurité aux frontières, le contrôle aérien, les services d’urgence médicale ou encore le versement des prestations de sécurité sociale. Ces activités relèvent en effet de dépenses obligatoires («mandatory spending»), financées par des lois pluriannuelles ou permanentes.
En revanche, les services annexes comme la délivrance de passeports, l’accueil dans les parcs nationaux ou les inspections sanitaires peuvent être suspendus.
Quels programmes sont menacés?
Le Rockefeller Institute for Government rappelle qu’à la date du 30 septembre, l’autorisation de nombreux programmes arrive à échéance: assistance temporaire aux familles démunies, crédits d’impôt pour les véhicules électriques, programme national d’assurance contre les inondations ou encore financements pour les centres de santé communautaires.
Faute d’une nouvelle autorisation, ces dispositifs seraient suspendus, affectant directement les bénéficiaires et les administrations locales, en particulier dans des États comme New York, fortement dépendants des subventions fédérales pour leur système de santé.
Conséquences pour les citoyens et l’administration
Les conséquences de précédents «shutdowns» se sont traduites par des blocages multiples. En 2013, l’Agence de protection de l’environnement avait interrompu 1.200 inspections sur l’eau potable et les déchets dangereux, tandis que la Food and Drug Administration retardait près de 900 contrôles.
La fermeture temporaire des parcs nationaux avait coûté plus de 500 millions de dollars en manque à gagner pour les économies locales, selon le Committee for a Responsible Federal Budget (CRFB).
Les effets se ressentent aussi dans la vie quotidienne: retards dans le traitement des demandes de prêts, blocage des vérifications de numéros de Sécurité sociale, ce qui complique l’accès au crédit immobilier ou à l’emploi, et interruptions dans la délivrance de certaines aides sociales.
Les employés fédéraux eux-mêmes sont touchés: près de 850.000 d’entre eux avaient été mis en congé forcé lors du «shutdown» de 2013, sans salaire pendant plusieurs semaines, avant de percevoir un rattrapage une fois l’accord trouvé. En revanche, les sous-traitants de l’État n’ont généralement pas droit à ces arriérés.
Une arme politique récurrente
Derrière ces blocages se trouvent des luttes politiques de fond. Dans les années 1990, c’est l’opposition entre Bill Clinton et le Congrès républicain qui avait provoqué deux «shutdowns» totalisant 26 jours.
En 2013, la querelle portait sur l’Obamacare, et en 2018-2019, le mur frontalier réclamé par Donald Trump avait conduit au «shutdown» le plus long de l’histoire américaine (35 jours).
Cette année, les désaccords concernent notamment les subventions liées à l’Affordable Care Act, que les démocrates exigent de prolonger, ainsi que des coupes dans Medicaid. La majorité républicaine au Sénat (53 sièges) doit convaincre au moins sept démocrates pour franchir le seuil des 60 voix, condition nécessaire pour adopter un budget provisoire.
La Brookings Institution, un think tank américain, souligne que le risque est donc bien réel, et chaque camp pourrait chercher à utiliser la menace d’un «shutdown» comme levier de négociation.
Impact économique
Un «shutdown» court a surtout des effets symboliques, mais un blocage prolongé a un coût mesurable. Le Congressional Budget Office avait évalué la perte de croissance liée au «shutdown» de 2018-2019 à 11 milliards de dollars, dont 3 milliards irrécupérables.
Brookings note qu’un blocage réduit la croissance du PIB de 0,2 point de pourcentage par semaine, avant un rebond partiel au trimestre suivant. Les répercussions indirectes – retards de permis, blocage des prêts fédéraux, incertitude pour les investisseurs – accentuent la fragilité de l’économie.
Une crise de gouvernance
Au-delà de l’économie, les «shutdowns» rappellent la difficulté du Congrès à remplir sa mission budgétaire. Comme le souligne Brookings, ces épisodes traduisent une incapacité structurelle à concilier le contrôle des dépenses publiques et les pressions partisanes. Ils nourrissent aussi la défiance des citoyens envers leurs institutions, chaque camp cherchant à attribuer la responsabilité à l’autre.
Pour le moment, la perspective d’un accord reste incertaine: la Chambre a voté une résolution temporaire jusqu’au 21 novembre, mais le Sénat n’a pas trouvé de compromis. Faute de consensus, les États-Unis s’exposent une fois de plus à une paralysie administrative dont les citoyens et l’économie risquent de payer le prix.
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