Tactique pour évincer Nawaf Salam?
©Ici Beyrouth

Le soulèvement du «mini-État» Hezbollah contre l’État de droit naissant a tenu les Libanais en haleine tout le week-end. Le problème n’était pas tant l’illumination du Rocher de Raouché que ce que cet acte symbolisait: un rappel du 7 mai 2008, lorsque le Hezbollah et ses alliés avaient occupé la capitale manu militari, et un avertissement direct adressé au Premier ministre, Nawaf Salam. Cet épisode marque la fin d’une phase de cohabitation et l’ouverture d’une confrontation assumée.

Les mesures locales n’ont pas suffi à contenir les répercussions des incidents de jeudi soir au cœur de Beyrouth. Les questions fusent désormais: les ministres pro-iraniens vont-ils poursuivre l’offensive amorcée par leurs dirigeants à Raouché en boycottant le Conseil des ministres pour paralyser l’exécutif, ou continueront-ils comme si de rien n’était, le message étant déjà clair pour Salam?

Les dernières actions du Hezbollah ont par ailleurs accentué les craintes occidentales d’une frappe militaire préventive contre la formation pro-iranienne. Fidèle à sa ligne, cette dernière refuse tout désarmement, revendique une mission régionale et s’aligne ouvertement sur l’agenda de Téhéran. Elle agit en véritable pouvoir parallèle, en marge de l’État et de ses institutions.

À Raouché, le Hezbollah a bafoué l’accord prévu pour la commémoration du premier anniversaire de l’assassinat de Hassan Nasrallah, qui limitait le rassemblement à 500 personnes et interdisait l’éclairage du rocher. En mobilisant des milliers de partisans et en illuminant le site, le parti chiite a défié le gouvernement, cherchant à torpiller la décision de Nawaf Salam sur le monopole des armes et à précipiter la chute de son cabinet.

La formation pro-iranienne n’a pas pardonné au Premier ministre cette décision, jugée contraire à l’accord conclu avec le président Joseph Aoun, selon l’un de ses députés. Lors du premier tour de l’élection présidentielle, où Aoun avait obtenu 71 voix, la séance parlementaire a été suspendue pendant deux heures pour permettre la poursuite des consultations.

Durant cette pause, la délégation du tandem chiite (Amal-Hezbollah), composée des députés Mohammed Raad et Ali Hassan Khalil, s’est entretenue avec M. Aoun et a défini des principes de base: réserver la représentation chiite au sein du gouvernement et de l’administration au tandem, limiter l’application de la résolution 1701 du Conseil de sécurité au seul sud du Litani et engager un dialogue national sur une stratégie de défense. «Les discussions portaient uniquement sur des principes, la priorité étant la “Résistance”. C’est ainsi que Joseph Aoun a obtenu 99 voix», a conclu le député.

Après l’assassinat de Hassan Nasrallah, le 27 septembre 2024, et de Hachem Safiedine, et face aux bouleversements sur la scène politique intérieure et régionale, le Hezbollah a choisi l’escalade afin d’affirmer une présence active qui transcende les lois, les coutumes et les équilibres locaux.

Par cette posture, il a donné corps aux propos de Tom Barrack et de Lindsey Graham, selon lesquels le Hezb ne renoncera jamais à son arsenal et qu’il faut laisser les mains libres à Israël. Il a également illustré les paroles du guide Ali Khamenei, pour qui la «Résistance n’est pas une institution susceptible de disparaître sous l’effet de processus politiques ou sécuritaires, mais une identité, une pensée et une culture vivante, profondément enracinée dans la conscience des peuples.

Ali Larijani, secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale iranien, a d’ailleurs participé à la commémoration du premier anniversaire de l’assassinat de Hassan Nasrallah, confirmant ainsi le lien direct avec l’Iran.

Le message lancé depuis le Rocher de Raouché a franchi les frontières du pays. Sur le plan interne, il visait à fragiliser le gouvernement, à préparer son renversement et à provoquer l’éviction de son chef, tout en remettant en cause la décision sur le monopole des armes. Des milieux proches de Nawaf Salam ont évoqué un complot visant à imposer un Premier ministre plus conciliant. M. Salam a répondu sans détour: «Je reste en place. Je ne démissionnerai pas, je ne me mettrai pas en retrait et je poursuivrai mon projet d’édification d’un État de droit où la loi prime pour tous.» Dans la foulée, il a dénoncé les manquements de plusieurs responsables et enjoint les ministres de la Justice, de l’Intérieur et de la Défense à ouvrir des enquêtes, poursuivre Wafic Safa, médiateur en chef du Hezbollah, et annulé les licences des associations ayant enfreint la loi en participant à la commémoration. Cette fermeté a eu pour effet de rallier les forces politiques autour de lui, qui l’encouragent désormais à tenir bon et à ne pas céder face aux pressions.

Sur le plan international, des sources diplomatiques ont relié cette montée des tensions au dossier nucléaire, après l’échec des négociations avec la troïka européenne et la tentative russo-chinoise de reporter le «snapback» de six mois. Même si le ministre iranien des Affaires étrangères a affirmé que son pays ne cherche pas à se doter d’arme nucléaire au motif que cela contrevient aux préceptes de l’islam, l’ONU a rétabli les sanctions à cause de son programme nucléaire. Le secrétaire d’État américain, Marco Rubio, a souligné que le monde ne cède pas aux menaces iraniennes et a appelé l’Iran à engager des négociations directes avec Washington.

Les événements de Raouché révèlent que le Hezbollah continue de dicter les décisions de l’État depuis une position de force. L’État reste attentiste, en attendant la rencontre prévue cette semaine à la Maison Blanche entre Donald Trump et Benjamin Netanyahou, destinée à établir un cessez-le-feu à Gaza et à tracer une feuille de route pour la paix dans la région.

Selon des sources diplomatiques, le plan B évoqué par Lindsey Graham serait sur la table. Israël pourrait lancer une «guerre éclair» contre le Hezbollah, visant ses dirigeants et son arsenal dans la Bekaa, avec une frappe ciblée capable de renverser la situation et d’éliminer le dernier relais iranien dans la région après la Syrie, l’Irak, Gaza et le Yémen.

Alors que les forces politiques attendent le premier rapport mensuel du commandement de l’armée, prévu le 6 octobre, sur la mise en œuvre de la décision confiant le monopole des armes à l’État, après l’échec d’une application volontaire des décisions gouvernementales, il a été annoncé que la conférence internationale de soutien à l’armée, initialement prévue à Riyad à la mi-octobre, est reportée. Les autres conférences d’aide au Liban sont également suspendues jusqu’à l’exécution effective de cette décision.

La situation demeure incertaine quant aux décisions que prendra le Premier ministre, Nawaf Salam, à la mise en œuvre du monopole des armes et aux relations entre les trois pouvoirs. Les prochains jours détermineront si le Liban pourra éviter le scénario du plan B.

 

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